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Le Globe, 6 décembre 1831

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Le Globe
6 décembre 1831


Extrait du journal

Et qui donc parlera d’immoralité ? Nous avons «lonné la main au prolétaire, et nous devons bientôt lui montrer que sa fille n’a d’espoir qu’en nous, qu’elle est perdue sans nous, qu’elle est perdue par lui peut-être, et par tout le monde qui la tente et qui l’achète. Il faut à «les hommes quelque courage pour accomplir cette mission : mais que faut-il aux femmes qui se joindront à nous ponr nous aider dans cette mission ! Jusqu’ici c’est nous, hommes, qui avons porté les mépris du monde; eh bien! nous appelons les femmes à partager le fardeau avec nous. ( Nouvelle interruption causée par quelques rires et wtf l’empres sement de In foule nombreuse qui est à la porte. ) ' Henri Baud demande nu fère sufrûme la parole. Mon Père, pourquoi m’nvez-vons laissé parler? ma voix était plei ne encore de menace et de colère, pareeque vous ne nous aviez pas dit la parole d’avenir; mais vous venez de la dire, je suis heureux. Toutefois je veux m’adresser encore à ceux qui nous interrompent. Je veux «pie mu parole pèse sur leur poitrine de tout le poids du mal qu’ils ont fait et qu’ils ont laissé commettre .-et je veux voir s’ils essaieront encore de nous troubler. ( Mouvement d’hilarité de deux ou trois personnes. ) Qu’il se montre celui qui rit de ma parole ; quand il voit q«ie je porte en moi toutes les douleurs que toutes les femmes et tous les hommes dn monde peuvent éprouver, que je les repasse dans ma pensée, que je les rends par lu puissance de ma voix; qu’il vienne, je veux le voir rire! Il y a des hommes qui rient en face de tant de femmes expiran tes, en face de leurs frères poussés par le désespoir à la frénésie san glante et rendus presque féroces par le malheur. Ah! s’il est des hommes qui rient à tant d’infortunes, ils sont les auteurs des crimes qu’elles amènent ; ils sont dans le monde les seuls coupables , je n’en connais point d’autres. ( Applaudissements prolongés. ) Laissez, laissez, il y a eucore dans cette poitrine un cri qu’il faut que l’on entende. Un homme, grâce à Dieu un seul homme, dans cette enceinte a eu le courage «le siffler. Siffler! mais c’est au théâtre où l'on chan te et l’on amuse le vice, où l’on fait l’apologie de ce qu’il y a de mal dans le monde; c’est là qu’il faut siffler. Mais quand il se passe devant vous un drame où des hommes qui livrent leur vie toute transparente à l’examen «le tous, viennent parler du peuple, et nu nom de Dieu réclamer pacifiquement ses droits ; quand on les voit, pour ainsi dire , gratter la terre de leurs mains pour lui faire pro duire tous ces très >rs dont ils enrichiront la classe la plus nombreuse et la plus pauvre, quel est celui qui peut siffler? U* homme dans l’enceinte : Moi! Henri Baud : Eh bien ! à l’homme qui siffle je demanderai compte de ses œuvres et de sa vie, et je lui dirai pourquoi, moi, je me sens le courage de déchirer hautement qu’il ne nous connaît pas ou ne sa connaît pnslui-inême. Je lui dirai, moi, qui je suis, ce que j’ai été, non pas comme je l’ai déjà fait, mais sous un antre aspect de la vie. Je vous l’ai «lit, vous le savez, je suis fils du prolétaire qui par son travail s’est placé dans la classe privilégiée. Eh bien! j’ai vu, moi. jusqu’à présent tous les vices et tous les tourments que la femme étale au sein de nos villes, et si je n’ai point par des mots odieux plaisanté sa dégradante misère, jamais aussi je n’eus le courage de tendre la main pour relever de l’anathème la fille d’Ève et de Marie éplorée. Vous, avez-vous vu, le soir, se traînant le long «le nos rues, ces ombres pâles, revêtues de leurs habits emprun tés, comme d’un linceul d’où s’exhale en lourde atmosphère toute la vapeur fangeuse du vice? Elle supplient le voluptueux débauché afin d’avoir un peu de son or; elles appellent A leur aide les désir» criminels que leurs voix éveillent : cette suppliante c’est In fille du peuple, naguère joyeuse et belle, aujourd'hui triste et flétrie. La voilà telle que l’a faite l’oppression et la misère. Ah ! si vous l’ave* vue, qu’avez-vous fait peur elle? L’avez-vous défendue, assistée, relevée? Avez-vous eu le courage de mettre votre main dans la boue pour en tirer les enfants de Dieu qui y versent leur sang et leur vie ? Ah ! si vous ne l’avez pas tenté, ou si l’énormité de cette œuvre a ébranlé votre courage, respectez ceux qui parlent d’affranchir la femme «lu hideux trafic de la chair; et si vous 11e vous sentes pis la force de les imiter, au nom île Dieu ! ne les sifflez pas. (Brave** bra vo! — Applaudissements.) Ecoutez! Je l’ai dit souvent, la voix du peuple est la voix de Dieu, 11 y a ici des hommes qui ont entendu votre appel ; ils ont entendu le mien aussi, ils ont répondu au mien, ils ont repoussé le vôtre. Vous êtes seul dons cette enceinte, tâchez de vous convertir, l’hu-, inanité n’applaudira pas à ce que vous faite». (Très bien, très bien! — Applaudissements.) Mon Père, je vous l’ai dit, ces paroles d’amertume et de colère ne vont pas à mon âme. El vous qui nous avez sifflé», il y 0 dan» ce cœur, croyez-le bien, «le l’amour ponr vous aussi ! dites-moi si vou»' avez le courage d’en dire autant? Eh bien! moi. je sens que vous, avez besoin d’êire aimé, pareeque vous souffrez. Sr vous avez le blâme et l’injure à la bouche, c’est que veus doute* des hommes;...

À propos

Fondé en 1824 par Pierre Leroux (1797-1871) et Paul-François Dubois (1793-1874), Le Globe a traversé plusieurs phases très distinctes : de publication strictement littéraire, la rédaction – regroupant plusieurs universitaires – s’est peu à peu intéressé à la politique et à l’économie, via le saint-simonisme.

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