Extrait du journal

Dans le cabinet du Ballhausplatz, où travaille le chancelier von Schuschnigg, il ne doit pas être besoin de se livrer à de très longues investigations pour déco-uvrir — un bras de fauteuil perforé, un marbre fendu, une glace étoilée — la trace des balles qui abattirent, au mois de juillet 1934, le magnanime chancelier Dollfuss. Je sais bien : l'évocation de cette scène d'horreur ne fait plus guère recette aujourd'hui. En moins de trois ans, il est devenu démodé d'en parler. Mais, tout de même, au fur et à mesure que je m'élève dans ces escaliers, que j'avance à travers ce lacis de corridors, j'avoue être incapable de penser à autre chose qu'à l'attentat sans nom dont ils ont été les témoins. C'est par cette porte que se sont introduits les assassins, déguisés en soldats et agents de police. C'est ce salon où je suis en train de faire antichambre qu'ils ont traversé. Ici, au début du siècle dernier, se sont tenues les pompeuses séances du Congrès de Vienne. Autour de la table que voilà, Talleyrand et Metternich se sont affrontés. Abominations de la Sainte-Alliance dénoncées par les vieux maîtres de ma jeunesse ! Ces dignes gens vivent-ils toujours ? Je voudrais pouvoir leur demander s'ils sont encore d'avis que la douceur des mœurs publiques n'a pas cessé, depuis ce temps-là, d'être en progrès....