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Le Matin, 10 avril 1905

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Le Matin
10 avril 1905


Extrait du journal

Il neige. Quelle désolation uniforme et blanche, quel linceul Rapide, dans les vastes espaces de silence, notre traîneau glisse sur la route déserte, entre les bras morts des sapins, La campagne, sur son drap immaculé, est triste comme une cérémonie funèbre. De petites isbas glacées, pas plus grandes que des tombeaux, jalonnent le chemin, et il n'y a de vivant, dans le paysage, que notre course, que ce cheval au poitrail fumant. Mais il y a quelque chose de plus mort encore que la mort: c'est cette petite ville que nous abordons, avec ses rues où ne passe personne, pas une âme, pas un fantôme, avec ses maisons aux fenêtres impénétrables, aux vitres glauques, aveuglées de givre, plus fermées sur le regard que des paupières closes. Comme on comprend certaines pages de Gogol, comme on: voit les Ames mortes 1 et comme il apparaît bien que, derrière ces murs, commence un monde que nous ne connaissons pas, que nous ne pouvons «pas entendre, dans lequel ne résonne aucune corde vivante. Ce peuple ne parle, ni ne crie, ni ne pleure. On nous raconte bien que, dans des lointains déserts, il s'est réveillé loup et qu'il hurle mais au fond de quels steppes ? Combien de jours et de nuits, notre traîneau devraitil courir sur la terre glacée pour assister au miracle de sa colère ? Moi, je ne connais que le peuple de cette province, celui qui s'est fait tuer, le 9 janvier, en si-, lence. Oui, c'est cela qui fut le plus formidable, dans la journée de meurtre, et, de toutes les confidences recueillies, ce n'est ni lé tableau des subites fusillades' jetant sur le pavé des perspectives les cadavres des promeneurs du dimanche, ni l'horrible sang-froid des officiers présidant à l'liécatombe, ni l'évocation du massacre des innocents dans le jardin Alexandre, les petits bébés dans les mares de sang.les adolescents fusillés dans les branches des arbres, non, non, ce n'est point tout cela qui m'a le plus épouvanté. L'atroce, voyez-vous, ce n'était point les morts, c'était les vivants, ceux qui s'enfuyaient en silence, sans une révolte, sans une protestation,, sans un geste. Tous, tous, lés hommes, les femmes, glissaient comme des ombres, se dispersaient, se sauvaient sous la protection des lourdes voûtes, suppliant les dvornick de ne point les laisser dans la rue, mais -n'en dïsàient point la raison, et, interrogés par les passants, par leurs amis, par leurs parents, par un frère, sur ce qui s'était passé à la perspective, faisaient les étonnés, disaient qu'ils ne comprenaient pas. On insistait « Vous savez bien, il y a eu un scandale sur la Newsky ?. » Non, ils ne savaient pas !« Va ni znaïou 1. Et, le lendemain, tout le monde interrogeait tout le monde sur « le scandale », et il n'y avait personne pour répondre. Et ils appelaient cela le scandale...

À propos

Lancé en 1883 sur le modèle du quotidien britannique le Morning News, Le Matin se revendiquait être un journal novateur, « à l’américaine ». Son directeur Alfred Edwards entendait donner « priorité à la nouvelle sur l’éditorial, à l’écho sur la chronique, au reportage sur le commentaire ».

 
 
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