Extrait du journal

LES CONVOIS ^MEURTRIERS Une sorte de voile terreux en1 gluait l'embouchure du Yang Tsé. Le brouillard semblait une émai nation palpable, matérielle, du fleuve boueux, des berges grasses et visqueuses. Il était jaune comme la poussière qui flotte depuis des millénaires sur les espaces chinois, mais d'une couleur plus foncée et d'une trame si dense que, avant de pénétrer dans ses replis fantomatiques, on reculait ainsi que devant un obstacle. Ce fut également la réaction des rickshaws qui nous menaient. Les muscles de leurs jambes nues hésitèrent imperceptiblement, se détendirent comme des lanières soudain ramollies. Ils se ressaisirent aussitôt et les voiturettes qui nous portaient s'enfoncèrent dans la matière épaisse et humide qu'était soudain devenu l'air. Du même coup, mon rickshaw ne fut plus pour moi qu'une ombre haillonneuse et indistincte entre des brancards qui avaient pris l'aspect de lignes sans consistance. Quant à mon compagnon, î il fut comme effacé de la vie, bien i que j'entendis, tout près des miennes, tressauter dans les i ornières les roues de son léger chariot....