Extrait du journal

Mon ami Philippe G. officier de la marine marchande, passant quelques jours de congé à Paris, je le* vis assez souvent au cours de la semaine dernière. C'est un grand et large garçon froid, taci-: turne. Mais le songe lucide qui veille au fond'de ses yeux bruns, la richesse de sa vie intérieure, la sincérité de son visage durci par le'hâlè, donnent à son silence et à son calme têtu une poésie, un magnétisme où l'on sent tout l'enchantement mélancolique d'une existence vouée aux lents cabotages, aux pays lointains. aux mystérieux soleils. Il vint me voir la veille de son départ. Etant occupé, je dus le faire attendre quelques instants. Quand je le rejoignis, je le trouvai assis dans un fauteuil, les yeux perdus vers le ciel qui se découpait à tràvers la fenêtre. Un journal, déplié, qu'il ne lisait plus, frémissait'dans sa forte main. I1 ne tourna pas la tête dans ma direction et se mit à parler d'une voix étrange, que je ne lui connaissais pas, plus sourde, mais en même temps plus chaude et plus vibrante qu'à l'ordinaire. On eût dit qu'il obéissait à une force qu'il ne contrôlait pas. Sans faire un mouvement, osant à peine respirer de peur que, soudain rendu à lui-même, il interrompît son récit, J'écoutai cette confidence imprévue et pathétique....