Extrait du journal

IL n'est pas d'oeuvre d'art qui, plus que l'oeuvre musicale, soit difficile à critiquer objectivement. La lecture d'un certain nombre de jugements musicaux d'un même chroniqueur, réunis en volume, révèle à chaque page des inconséquences et des contradictions. Le goût musical ■— que les idéalistes me pardonnent ■— s'apparente de la façon la plus étroite et la moins poétique au goût culinaire ! En dépit de l'éducation, de l'unité de tempérament et de la volonté de se soumettre à un régime, l'estomac est esclave de certains appétits immodérés comme de certaines répugnances. Et c'est ainsi que l'oreille musicale, même guidée par un jugement très sûr et contrôlée par un ferme vouloir d'équité dans le classement et l'appréciation des oeuvres, ne saurait goûter tous les genres de musique. Combien de fois ne nous arrive-t-il pas d'éprouver les mêmes goûts que tel musicien de notre connaissance, d'aimer les mêmes écoles, les mêmes auteurs, les mêmes virtuoses, et de nous trouver en complet désaccord avec lui en ce qui concerne une certaine personnalité, une certaine oeuvre., une certaine partie même d'une oeuvre. Les facultés analytiques ne jouent souvent qu'un rôle secondaire dans le jugement musical. Il arrive à tout instant qu'un critique ayant formulé ex cathedra les lois d'équilibre et de structure, ainsi que de régie de la sensibilité, — dont l'ensemble assure la beauté d'une sonate ou d'une symphonie, — proclame son dédain pour une composition obéissant cependant à toutes ces lois et possédant psr là-même les qualités propres à la faire classer parmi les chefs-d'oeuvre....