Extrait du journal

A M. Henri Mazel directeur de VHermitage. Depuis longtemps, avant même que cette question ne fut l’objet d’une enquête parmi les lettrés, elle avait occupé mou esprit enclin au paradoxe. Je m’étais souvent, en effet,dans le cours de mes lectures, demandé les raisons pour lesquelles des artistes d’élite, poètes, critiques, peintres ou musiciens, faisant preuve dans leurs œuvres d’une grande liberté d’allures, avaient pu vivre en très bons termes avec les détenteurs du pouvoir, étaient même parvenus à obtenir des faveurs. Lamartine, Hugo, Musset, sous la Restauration, St-Beuve, Mérimée, Augier, Feuillet, Théophile Gauthier sous le second Empire, me paraissaient avoir vécu ainsi que des coqs en pâte. Et ces remarques me conduisirent naturellement à rechercher de quelle manière l’artiste, cet indépendant d’élite, ce contemplateur des conventions, comprendrait le bien social. Comme le disait Vallès, ce maître ironique et puissant qu’on ne saurait trop relire « même pour conserver l’amour de la liberté, nous sommes tous plus ou moins victimes du Livre » en ce sens qu’il greffe en nous des idées nouvelles encore inexplorées, et dont nous labourons le champ. Les idées sociales sont ces dernières ; les livres, joints à notre petite expérience personnelle, influent beaucoup sur elles. II faut aussi tenir compte de notre condition d’origine dans la société, car elle maintient souvent nos idées dans un cadre que, seuls, de grands avènements ou de grandes révolutions peuvent aider à franchir....