Extrait du journal

Depuis un an déjà, la maladie l’avait tenaillé... Avec son inaltérable lionne humeur, sa gaieté si franche et si naturelle, avec le souci constant et très touchant de ne pas inquiéter les siens, il avait lutté contre le mal. Ses amis ne voulaient fias croire qu’il était condamné. Depuis huit jours il s’était alité ; depuis quatre jours tout espoir était perdu. Lundi après midi, il re<;ut les Derniers Sacrements. 11 souriait encore... Jusqu’à la tin, il garda sa parfaite lucidité d'esprit. A onze heures et demie, il expirait doucement. , Ah ! la mort d’un grand ami cause du chagrin! et pour la maison du XourcIIisti Jacques de Lorgeril était un grand ami. tidele, dévoué, ut tvn lionne. Nous le pleurons de tout notre cœur. 11 était jeune encore. 11 était né le 17 avril 1S74. Son enfance s’écoula sous les grands arbres de cette lîourbansais hospitalière, où deux canons, postés à l’entrée, suffisent à rappeler que les de Lorgeril conquirent bien des grades et beaucoup d’honneur dans la marine au service de la France. Le charme de la lîourbansais devait lui faire aimer la terre, ses travail leurs. sa poésie prenante et toutes ses traditions... Il ne quitta « la terre » ijtie pour suivre les cours du Collège de Suinte Croix au Mans, ou il eut pour professeur de littérature celui qui est aujourd’hui le Cardinal Charost. Engagé volontaire aux Chasseurs à Cheval d’Abbeville, il fut, 1 sa libération, élève de l’Ecole des Sciences Economiques et Politiques. Puis il revint à la lîourbansais et. digne fils de ses ancêtres, il donna le meilleur de lui-thème aux œuvres sociales, n'interrompant son labeur que pour aller, malgré ses six enfants, dans la zone des armées pendant toute la guerre. Il avait île qui tenir. Sou père, ancien maire de Pleugueneuc, était député d’111e et-Vilaine. Son arrière grand père, lui aussi, fut député, et fut maire de Pennes. C'est celui qui fonda les comices agricoles, et un monument lui lut élevé à la Motte Beaumanoir, en bordure de la route de Rennes à Saint-Malo. Jacques de Lorgeril continua l’œuvre commencée. Il était vire prési dent du Syndicat Agricole Départemental, président jusqu’à ces derniers jours de la Caisse de Crédit, président de l’Vnion des Syndicats Agri voles. Esprit très éclairé, très ouvert, intransigeant sur les principes, tidèle à ses amitiés, à son passé, mais bon juge des possibilités, et appor tant dans l'acceptation de la réalité présente la jolie courtoisie de sa race, il fut véritablement le gentilhomme qui. puissant par son passé, offre au présent, avec une largeur incomparable d’esprit, l’appui d’une tradition et le concours désintéressé d un talent, d une éducation et d’une expérience. Ce fut un beau Français, un lier Catholique. Droit comme une épée, ce fut un homme d'honneur, et par des hommes comme lui la chevalerie d’autan a toujours ses chevaliers servants. 11 avait compris que la lutte pour les idées doit être, en nos temps modernes, menée d'abord par la presse. 11 s’était attaché a notre A ouvclliste; il s’y donna avec toute son âme. En lin là. il entra au Conseil d’Administration du journal. En 1008, il en devenait son président. Et, depuis 1005, il collabora au succès de potre maison avec une sollicitude qui ne s'est a aucun instant démentie. Je puis bien dire ce que je lui dois, et combien je l’aimais. Dans notre grande maison, d'ailleurs, tout le monde l'aimait. Quand il avait l’occasion de traverser bureaux, ateliers, et salles de rédaction, il avait pour tous, depuis le metteur en pages jusqu’à l’apprentie margeuse, un mot cordial et un bon sourire. Sa mort nous met tous en deuil ici... 11 s’intéressait au sort du personnel autant qu'à la marche financière de la Société. Je puis dire que, depuis que je l’ai connu, chaque fois que j’ai demandé à notre président du Conseil d'Administration quelque chose pour les ouvriers, il me l’a toujours accordé. Cet*aristocrate de race était un grand aimant de la démocratie travailleuse. Travailler avec lui était un charme. Combien de fois, en passant à Rennes, n'est-il pas venu causer pendant de longues heures dans mon bureau! Il avait un sens très juste des réalités et des possibilités, il appréciait exactement les hommes et les événements, il fut un président de bons conseils... 11 n'y a pas quinze jours, il m’écrivait encore, et avec le sens étrangement aigu de l’actualité que peut-être donne l’approche de la mort, il me faisait prévoir la défaite des gens d'ordre lors des élec tions municipales. 11 me l’expliquait, m’en donnait les raisons, ne cachait pas ses inquiétudes, et il ajoutait, avec cette ardeur optimiste qui fut, une de ses caractéristiques ; u Va ne fait rien, Delahaye, il faudra tenir lion. Quand la politique cause des déceptions, c’est une raison impérieuse de plus de demeurer ferme. » ("est le dernier mot d’ordre qu’il donna au Nouvelliste. Nous sommes de taille, au Nouvelliste qu’il aima tant, à faire honneur à ce suprême mot d’ordre. Avec une émotion infirment respectueuse et affectueuse, le Nouvel liste s’incline devant le cercueil de son Président, et il prie Madame Charles de Lorgeril, Madame Jacques de Lorgeril et ses enfants, d'agréer l’expression de ses condoléances attristées et de ses douloureuses sympathies.. Eugène Delahaye*...