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Le Petit Journal, 26 août 1937

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Le Petit Journal
26 août 1937


Extrait du journal

JAI accepté de collaborer à ce journal pour l'avan tage d'une audience qui déborde, et de beaucoup, les milieux de lettres. C'est que je ne fais pas de l'intelligence le privilège des faiseurs de livres et de leurs amis. Je ne crois même pas que ceux-là soient, plus que les autres, sensibles au talent véritable, ni plus près d'en avoir. L'intelligence, qu'est-çe d'autre qu'une vue per sonnelle des choses ? Et cette vue personnelle, quand ellè s'accompagne du bonheur de l'expression, n'est-ce pas tout le talent ? — Aborder les lettres dès son plus jeune âge, comme un si graifd nombre l'ose maintenant^ faire com merce d'esprit avant de s'être dépensé à un autre commerce, de s'être plié à cette trituration particulière des êtres et des choses, qu'est chaque métier, ;— n'achemine pas vers le talent. Il manquera toujours à ces impatients l'expérience humaine, sans laquelle il n*est pas apport aux lettres. — Je sais bien qu'il y a le don. Je sais qu'on est même accouturfié de dire que le génie devine.-Mais ce n'est là qu'appa rence. Le vrai est que le génie a des perceptions si rapi des, et aussi qu'il rejette si naturellement tout ce qui ne doit pas le nourrir, qu'il semble avoir deviné là où il a recueilli. Pour autrement dire, les expériences du génie tiennent dans des temps d'éclair. Ainsi un Radiguet, à dix-sept ans, a su décrire avec le plus rare bonheur le monde de Paris, l'ayant à peine aperçu. Cet enfant génial avait l'expérience d'un vieillard. >r- En quoi, par contre, tient, l'expérience de ceux qui, adolescents, sont « entrés dans les lettres » comme on entre dans une maison de commerce, pour y faire leur vie ? Un tel métier, si c'en est un, que peut-il apprendre d'autre que la patience de faire antichambre et l'art d'être éconduit ? Quelle autre expérience peut en sortir que la connaissance de ces milieux particuliers où s'agite la vanité ? — « Soyez plu tôt, maçon, si c'est votre métier », conseillait le poète aux faiseurs de son temps. Quant à moi, je voudrais dire à quiconque ambitionne d'écrire, et surtout s'il est doué : « Soyez d'abord maçon ». * . A Un métier; ce n'est pas seulement un savoir-faire par ticulier ; partant, un moyen de vivre ; c'est une connais sance des> êtres et des choses que ce métier est- seul à apporter. C'est la matière humaine qu'il faut comme argile à toute qnivre de l'esprit. C'est la possibilité de parler é'unç manière -qui. est propre à un certain commerce avec . lesi êtres et les choses, — manière en quoi tient déjà une personnalité de l'écriture, que j'appellerais « réelle » parce qu'elle vient de la chose faite. Un métier c'est la certitude de retenir,' à tout le moins, par l'intérêt qui s'attache à ce qui fut vécu, par l'attrait de toute aventure humaine. Et, quand le don s'y ajoute, c'est-à-dire une façon naturellement heureuse de-dire son expérience, — c'est-le talent....

À propos

Fondé en 1863 par Moïse Polydore Millaud, Le Petit Journal était un quotidien parisien républicain et conservateur parmi les plus populaires sous la troisième République. Le journal jouit vite d’un succès commercial sans précédent, renforcé par la publication de divers suppléments, parmi lesquels son célèbre « supplément du dimanche » ou encore Le Petit Journal illustré. La publication s’achève à l’orée de l’année 1944.

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