Extrait du journal

Qui donc prétend que le Palais-Royal n'est plus qu'un désert et qu'il est urgent de l'éventrer, d'y faire passer des rues pour lui rendre la vie et le mouvement d'autrefois ?... Un désert ?...Tenez, j'y fus avant-hier au Pa lais-Royal...Je m'attendais à le trouver dans une douce somnolence, rendue, plus profonde en core par la rigueur de la saison. Je me figu rais le jardin endormi, sans ébats et sans cris d'enfants, les galeries muettes où sonneraient seulement les échos de mes pas... et cette pers pective n'était pas pour me déplaire, car j'ai me cette oasis de silence et de calme au mi lieu du Paris bruyant et frénétique d'aujour d'hui. Eh bien, je me trompais... Dès les abords du « Palais-Cardinal », je m'aperçus tout de suite qu'une animation insolite y régnait. Des hom mes, des femmes y pénétraient à pas pressés, d'autres en sortaient, d'une allure plus lente, avec je ne sais quoi de solennel dans la dé marche. Je croisai là des figures connues, des confrères, des artistes, des gens de théâtre, jeunes pour la plupart. Tous avaient l'air épa noui ét, de temps à autre, jetaient à la déro bée un regard rapide et complaisant sur leur boutonnière fleurie de violet. Alors je me souvins et je compris... Je me souvins que, le matin même, l'Officiel avait publié une formidable promotion de palmes académiques, et je compris que le PalaisRoyal étant à Paris le centre du commerce du ruban pour décorations, tous les nouveaux décorés devaient fatalement s'y précipiter, ce jour-là... L'idée me vint alors de savoir des négociants spéciaux qui tiennent ces articles de vanité combien ils pouvaient en une telle journée vendre de mètres de ruban, de petits noeuds, de rosettes, de palmes d'argent et d'or enrichies de diamants... J'entrai chez l'un d'eux... Il y avait vingt-cinq personnes dans la boutique. Néanmoins, il me renseigna de son mieux... A chaque promotion de ce genre, c'est par kilomètres qu'il débite le ruban ; les boîtes de nœuds et de rosettes se vident coriime par enchantement. • Ah ! monsieur, me disait cet honorable commerçant, il faudrait beaucoup de journées comme celle-ci dans l'année... Et vous verriez revivre notre quartier. Voilà, je pense, un moyen auquel les apôtres de la résurrection du Palais-Royal n'avaient pas songé... Je le signale à qui de droit... Il est pratique, ne coûterait rien à l'Etat et ferait plaisir à une foule de gens... c'est l'idéal, tout simplement ? Jean Leooq....