Extrait du journal

Dans ce bourg où je n'étais pas venu depuis quelques années, j'ai eu de là peine à reconnaître la boutique du coiffeur. C'était, avant la guerre, une toute petite boutique, et assez misérable, au seuil de laquelle se balançaient deux plats à barbe de cuivre. Aujourd'hui, la boutique a une façade au moins double, car elle s'est annexé le ma gasin de galoches voisin, et les deux plats de cuivre ont disparu, remplacés par un bâton peint — on se demanda pourquoi — aux couleurs américai nes. Le coiffeur aussi a changé. C'est toujours le même, mais il porte main tenant une veste blanche de barman. Et sur la porte de la pièce aménagée dans l'ancien magasin de galoches, un lit : «Salon pour dames ». Cette sim ple inscription m'a tout éxpliqué. Naturellement, c'est la mode des cheveux courts qui l'a conduit à faire tant d'agrandissements et d'embellisse ments. La petite ville compte me vingtaine de jeunes filles et de dames à cheveux coupés. Toutes viennent confier leur tête à ses mains deux fois par mois en moyenne, et elles ne s'en tirent jamais à moins de quinze francs. Il y a aussi les élégantes de passage. Tout cela a obligé l'honora ble perruquier à engager dans soc commerce un nouveau capital qu'il a dû emprunter et pour lequel il paie des intérêts élevés. Multipliez cette opération financière^ par autant de coiffeurs qu'il y en a dans nos villes, petites villes, bourgs et bourgades de - France, et peut-être vous ferez-vous une idée du nombre de millions placés à titre d'honnete spéculation sur la mode des cheve :x courts. Je ne sais si cette mode cessera un jour. Ce dont je suis sûr, c'est qu'elle durera aussi longtemps que tous ces capitaux n'auront pas été très large- ' ment amortis, — ce qui peut nous conduire loin... — André BILLY. >...