Extrait du journal

Ils sont peu ou mal connus, les amants de Paris. Peut-être même sont-sils complètement ignorés. Je puis vous affirmer qu'ils existent. Quelques-uns sont de vieux Pari siens, beaucoup sont provinciaux, ce qui n'es^. pas loin d'être la même chose. C'est un Bordelais qui donnait cette définition du Parisien : « un provincial plus ou moins détaché de sa province ». Parisiens et provinciaux, les amants de Paris se retrouvent dans la capitale quand elle devient plus tranquille, à l'époque des vacances. Le mois d'août, surtout, est propice à leurs flâneries, k leurs longues promenades dans Jes rues à peu près désertes, le long des quais. Pro pice aussi au tendre égoïsme de leur amour. Car ces amants n'aiment pas Pa ris pour son animation. Ils sont vo lontiers exclusifs. Ils détestent le tapage, la cohue. Pour eux, la vie moderne, avec ses turbulences, la précipitation de ses rythmes et le vrouhaha de ses bruits, gâche la sé duction de la ville. Volontiers, ils l'epdormiraient dans le silence et l'envelopperaient d'ombre. C'est • qu'ils l'aiment pour elle-même, pour la multiplicité de ses charmes, pour les souvenirs qu'elle évoque, pour les mille et une raisons, quelquesunes puériles ou candides, les autres profondément enracinées, qui for ment, en toutes circonstances, qu'il s'agisse des êtres ou des choses, les mobiles de l'amour. Paris, pour eux, c'est un monde. Un monde énorme, fantastique, avec ses légendes, ses féeries, un décor innombrable, des r.spects constam ment renouvelés, et les traces, en core visibles pour celui qui sait les découvrir, d'une vie humaine qui s'ést déroulée, avec ses aventures, ses drames et ses héroïsmes, depuis l'époque où les premiers Gaulois dressèrent leur hutte dans les ter rains marécageux de l'ancienne Lutèce. Comme disait l'un d'eux : « Ma vie entière ne suffira pas à bien connaître Paris ». Et il en exprimait le regret, avec une infinie mélancolie, comme un amant qui craint de ne pas épuiser la/somme des bonheurs que peut lui offrir sa maîtresse....