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Le Petit Marseillais, 7 octobre 1914

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Le Petit Marseillais
7 octobre 1914


Extrait du journal

Paris, le 4 octobre. L’une des plus réconfortantes impres sions, à mesure que l’on parcourt les terri toires de ia guerre, est colle de l’admirable entente des chefs et des soldats. Dans la petite ville de S..., en arrière de Reims, j’ai observé cela une fois de plus. C’est un lieu où l’on rassemble les blessés en voie de guérison, pour les évacuer vers lo Midi ou l’Ouest. Deux petits soldats avaient des blessures affreuses : l’un une balle entrée par la nuque et sortie par la bouche, l’au tre un coup de feu qui lui avait fracassé la mâchoire et emporté le nez. Tous deux parlaient à peine intelligiblement. Survint le chef de ia place. Mes deux pioupious se levèrent pour un salut, et leur visage s'éclaira. — Ça, dit l’un, c’est un bon officier ! L’accent était tout de reconnaissance. Et. de fait, le chef s'enquérait des besoins de chacun, allait de l’un à l’autre, souriant. Une chaleur d’amitié émanait de lui. Ce touchant tableau, je l’ai vu partout, et j'ai pu le comparer à celui, triste et ré pugnant. qu’offre la morgue de l’officier allemand en présence du soldat. C’est un spectacle qui ne coûte rien et que l'on peut avoir, avec un peu de protection, dans les gares de la Grande-Ceinture. A Noisy-le-Sec, notamment, c’est un dé filé ininterrompu de convois de prisonniers teutons. Dans la seule journée d’hier, il passa, par Juvisy et Versailles, plusieurs milliers de ces captifs. J’eus le plaisir d'y voir presque un régiment entier de la Garde prussienne, musique comprise. Les officiers avaient été empoignés avec leurs hommes. Us gardaient sur leur visage un air do cynique dédain, de grotesque suffi sance. Les hommes étaient de grands dia bles, bien vêtus et qui paraissaient revenir de la parade. Il eût été intéressant de sa voir d eux comment s’était opéré ce beau coup de filet, agrémenté de bien d’autres pèches miraculeuses ; mais on ne leur en laissa pas le temps. A aucun moment les officiers, sanglés dans leurs uniformes, n'eurent la tentation de s’approcher des soldats. Même dans le malheur, qui réunit les êtres, prisonniers ou blessés, le chef allemand, d’essence extra-humaine, n'entend pas se commettre avec le subalterne. Il y a ce détail incroyable qu’un officier allemand blessé ne peut pas être mis dans le môme compartiment qu’un soldat égale ment blessé, car il exige de celui-ci toutes les marques extérieures du respect, dût-il en mourir. L’école de la guerre, en Allemagne, est celle de la dureté. Le pape militaire Von der Goltz a, bien avant d'être le maître temporaire de la Belgique, tracé les prin cipes de cette méthode : « Le général, ditil, doit posséder certaines qualités qui ne sont pas belles au point de vue humani taire. La force de volonté ne pourra que bien rarement s’affirmer sans quelque du reté. .. Le général qui, saisi de pitié, té moigne de la sympathie aux blessés ou qui se laisse enchaîner par sa compassion en firésence des misères de la guerre risque de aisser passer les meilleurs moments d’agir. Cotte inflexibilité fait partie des fa cultés indispensables à l’homme qui veut accomplir de grandes choses à la guerre. Il n’est qu'un seul crime que l’histoire ne pardonne pas au général : c’est d’être battu 1 » Comme tout officier se considère, en Alle magne, comme un futur général, il n'est pas étonnant qu’il devienne facilement, pour suivre ces hautes leçons, un criminel. Pour se faire un état d’âme, il s’applique à commencer par n’avoir pour ses hommes ni considération ni pitié, et cette mentalité l’accompagne jusqu à l'hôpital, jusqu’au camp ae concentration. Qu’est-ce, alors, sur le champ de bataille 1 Lorsqu’on arrive, au moyen d’interprè tes ou de traducteurs, à connaître la pen sée d’un simple soldat allemand, elle est d’une Ingénuité qui frise l’imbécillité et qui...

À propos

Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.

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