Extrait du journal

Elle s’engage dans un couloir étroit, gagne l’escalier de service, et descend les degrés avec des précautions extrêmes, en marchant sur la pointe des pieds. Son cœur bat violemment ; la crainte d’être surprise, arrêtée dans son audacieuse entre prise, la rend haletante ; ses jambes trem blent sous elle. Enfin elle débouche sur la façade arrière du château. Sans reprendre haleine, sans regarder der rière elle ou aux alentours, elle s’élance vers le parc, s’enfonce d’un bond dans les allées enténébrées, et gagne en courant une porte basse, pratiquée dans la clôture. La clé se trouve dans la serrure, elle ouvre sans bruit, fait un pas au dehors, referme sur elle, puis s’arrête, épuisée. Un long «soupir de soulagement s’exhale de sa gorge strangulée par l’angoisse. Elle est dans la campagne ; elle est libre !... Heureusement elle connait à merveille la topographie du pays, qu’elle a tant de fois parcouru au cours des longues promenades, faites jadis en compagnie de Paul Duchamp. Elle traverse la falaise en biais, par un sentier étroit, et descend vers la ferme de Saint-Dignefort, située sur le chemin d’Harfleur. Son esprit, surexcité par la gravité de la dé cision prise, ne lui permet pas de songer aux dangers auxquels l’expose sa course noc turne. Elle va d’un pas pressé, nerveux, légère et gracieuse comme une jeune déesse de la nuit. D’ailleurs, la campagne est déserte, le si lence absolu. Une grande paix descend en elle par degrés, rend à son âme pure, mais résolue, la séré nité particulière a ceux qui usent simplement de droits imprescriptibles. Elle traverse bientôt le hameau de la Pêche rie, s’engage dans les étroits sentiers des ver gers et des cbamps de tratoiefs....