Extrait du journal

Selon l’usage, il s’élève, en ce moment, une grande clameur indignée contre le jeu aux courses de chevaux. Ce réqui sitoire est périodique et annuel. On l’appuie, généralement, de quelques faits divers établissant que des garçons de recettes, des commis, ont volé la caisse du patron pour satisfaire leur funeste passion et grossir les recettes du pari mutuel. Cette campagne ver tueuse est menée avec une rare vigueur. Les défenseurs de la morale publique égrènent, à l’appui de leur thèse, un chapelet de suicides émou vants, de drames domestiques, de catastrophes intimes. A l’occasion, ils tirent « la lettre de la veuve » victime infortunée qui expie les entraînements de son défunt. En même temps, on dénonce les cercles, les villes d’eaux, les périls des petits cnevaux elles dangersdu baccara. On accuse les préfets de complaisance intéressée pour « les tenanciers » de tripot et on donne à entendre que le produit du jeu, autrement dit la cagnotte, n'est pas étranger à la tolérance dont les fonctionnaires font preuve à l’égard des entrepreneurs des jeux de hasard. Les gens au courant des choses savent, il est vrai, que neuf fois sur dix, ces accès de vertu sont précédés de démarches faites auprès des gérants de cercles otide villes d’eaux,démarches ayant pour but de les convaincre que si la réclame se paie, le silence est égale ment coté à un haut prix et que le sage se prête volontiers aux accommode ments qu’excusent l’état des mœurs et la faiblesse humaine. Mais la difficulté de descendre au fond des consciences et de faire la lumière sur des arrangements qui restent ordinairement secrets, fait la partie trop belle aux moralistes tarifés pour que l’on s’amuse, ici, à montrer le dessous de leurs cartes. D’ailleurs, à côté des aigrefins, il y a d’honnêtes gens qu’indignent, de bonne foi, les malpropretés du jeu, ses séductions, scs entraînements, ses périls. La pré sence de ces quelques avocats sincères assure l’impunité des maîtres chan teurs. Et puis, rien n’est plus ingrat que de prendre la défense de causes déjà compromises • par les préjugés de l’opinion. Toute intervention vous rend suspect. On ne croit pas au désintéressement de votre plaidoyer ou bien on vous attribue des vices que vous ne prati quez pas. J’essaierai pourtant de présenter ici quelques observations et de plaider les circonstances atténuantes pour les fervents du jeu aux courses. Je ferai d’abord remarquer que , sauf le cas de dol et de déloyauté, le fait de risquer son argent contre ou pour les jarrets d’un cheval ne saurait être en soi délictueux. Des législateurs bien intentionnés ont décidé, il est vrai, que le jeu proprement dit était immoral, mais ils ne l’ont jamais démontré. Jadis, d’autres législateurs avaient décrété que tout blasphème méritait au coupable la perte de la langue et quelquefois celle de la vie. On jure et on sacre impunément maintenant,sans autre risque que celui de passer pour un homme mal élevé et on trouve un peu scélérats et parfaitement stupides les juges qui punissaient si sévèrement une inconvenance de langage qui, somme toute,ne faisait mal à personne. Le joueur, également, ne cause de dommages qu’à lui-même et, s’il a une famille qui subisse Je contre-coup de sa sotte passion, il est dans le cas du débauché, de l’ivrogne qui va porter aux filles ou aux marchands de vin l’argent destiné à sa femme et à ses...