PRÉCÉDENT

Le Petit Marseillais, 24 février 1914

SUIVANT

URL invalide

Le Petit Marseillais
24 février 1914


Extrait du journal

On nous écrit de Murs (Vaucluse), le 23 février : Notre coquet petit village, situé au pied du mont Ventoux et entouré de verdoyan tes collines dont les plantes sauvages déga gent un parfum vivifiant, compte à peine 387 habitants, parmi lesquels il convient de si gnaler quatorze nonagénaires et octogé naires et autant de septuagénaires. A une époque où Von jette un cri d’alarme contre la brièveté de l’existence, il convient dë signaler la longévité de nos robustes paysans,que l’attrait des cités n’a jamais pu déraciner du sol natal. — R. Malheureux les Riches d’Esprit I C’est le contraire de la parole évajigéli-, que et, cependant, c’est la même chose. L’instruction intensive n’a pas fait rien que des heureux. Elle a fait un plus grand nom bre de déshérités encombrés de savoir et pauvres jusqu’au désespoir. Jamais ne fut plus rude que de notre temps la misère en habit noir. Les écoles se sont ouvertes à toutes les intelligences. Quel père, qui fut un travailleur manuel, n’a rêvé pour ses fils les diplômes qui, dans ses projets d’avenir, donnent accès aux plus hautes situations libérales ? Les mamans laborieuses, usées par la couture et les humbles soins du ménage, se sont penchées vers le berceau : « Celui-là, nous en ferons un ingénieur, un médecin, un avocat, un artiste. » Magnifique songe, mais décevante réalité. Les parents se sont saignés aux quatre veines pour faire de leur enfant un puits de science. Demain un homme, le grand fils contemple ses mains, blanches, inacti ves et inhabiles. Il est enfin médecin, mais les malades ne le consultent pas ; il est avo cat, mais les causes ne viennent pas à son cabinet ; il est professeur, mais il n’a point d’élèves ; enfin, il ferait un fonctionnaire modèle, mais nulle fonction ne s’offre à lui. Quant à l’art et à la littérature, n’en par lons pas : autant vaut s’aller noyer tout de suite. En admettant que le diplômé, le savant et le lauréat décrochent par faveur, concours ou astuce une place, un emploi quelconque, de quel dérisoire traitement ou bénéfice cela est payé ! Juge, instituteur, plaideur, bureaucrate ou médicastre, c’est le diable s’ils joindront les deux bouts. Entre-temps, la machine à instruire, le gavage universitaire jette, chaque jour, sur le marché, où déjà les intellectuels sont pour rien, de nouveaux produits, des appé tits à satisfaire. Evidemment, cette situation pénible n’est point commune à la France. Elle est la même en Russie, en Italie, en Angleterre, et l’empereur d’Allemagne, après Bismarck, qui signalait le prolétariat des bacheliers, a dénoncé, dans un discours qui fit quelque bruit, que le pays germain ne pouvait ré pondre à tous les diplômés de l’enseigne ment supérieur. Mais, comme on dit, le mal des autres na tions ne soulage pas le nôtre, qui est main tenant à l’état aigu. Très amèrement, des milliers de bacheliers et de docteurs en dif férentes choses songent qu’un métier leur aurait donné du pain à défaut d'ambition. Il en est tellement ainsi qu’un collège s’est fondé, à Paris, pour les prolétaires in tellectuels. On y voit des élèves de trente à soixante ans, épaves des mathématiques, de la syntaxe et de la philosophie. A ces infortunés qui ont un cerveau nourri de substantifique moelle, mais qui meurent de faim, on inculque le maniement de la var lope et de la lime. Ces théoriciens apprennent d’un contre maître la pratique de l'électricité et des rouages de la mécanique. Quand les ap prentis tardifs savent enfin se servir de leurs outils et peuvent entrer dans un ate lier,l’Ecole d’électromontage — c'est le nom de ce collège — leur délivre un certificat d’aptitude industrielle qui, pour leur vie nouvelle, vaut mieux que tous les diplômes à vains mirages. Ceci est un grave symptôme. Certes, il n'y a pas lieu de prévoir encore des écoles...

À propos

Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.

En savoir plus
Données de classification
  • reig
  • waldeck-rousseau
  • bergson
  • alcibiade
  • bonhour
  • everest
  • brest
  • mimet
  • vaucluse
  • barcelone
  • marseille
  • peypin
  • france
  • paris
  • gardanne
  • sénat
  • parlement
  • jeunes femmes
  • société protectrice des animaux
  • a. p.
  • ecole navale
  • amirauté
  • faits divers
  • académie française