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Le Petit Marseillais, 30 janvier 1923

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Le Petit Marseillais
30 janvier 1923


Extrait du journal

Il y a la pénombre et il y a les ténè bres. On peut qualifier d’illettrés, par opposition aux « lettrés », ceux qui sa chant lire, écrire et calculer, ayant donc l’aptitude élémentaire aux obligations de la vie quotidienne, contreviennent cependant aux règles du langage, outra gent la syntaxe et manquent de respect à l’orthographe. L'illettré tombe fré quemment dans la confusion des termes; il dit armistice pour amnistie ou même sinécure pour synagogue. Sa pensée, ha bituellement fixée sur le concret, s’ex prime difficilement dès qu’elle tente de s’évader hors du domaine de ce qu’on voit et de ce qu’on touche. A un degré légèrement supérieur, se place l’illettré qui dissimule l’indigence de ses notions linguistiques ou gramma ticales sous le flux de ses paroles ou la prolixité de ses écrits. Tel l’illettré des réunions publiques, prisonnier d’une phraséologie dont le sens lui échappe, encore qu’il veuille, à coups de poings sur le bureau, fortifier son verbe chan celant. Tel aussi l’illettré parlementaire, dont les ratés, lapsus ou impairs sont redressés par les correcteurs officiels afin de donner aux lecteurs du compte rendu l’impression que, même au cours d’une séance en dix rounds de trois mi nutes, l’accord, fâcheusement rompu entre les députés, règne toujours sur les participes. Il y a même l’illettré de la littérature,, cet incompétent de la plume qui subventionne richement son éditeur, se ruine à le pousser au dixième mille et qui, pour l’orgueil de se lire imprimé, attire dans un guet-apens le client trop pressé de verser sept francs cinquante à la bibliothécaire d’une gare. A vrai dire, plus d’un illettré de cette dernière caté gorie, je me hâte de l’ajouter, connaît, au contraire, la gloire et la fortune. Le goût public se dessine, puis s’affirme, suivant des lois mystérieuses. La France ne compte qu’un académicien par mil lion d’habitants. Mais, à l’étage au-dessous, voici la foule des illettrés proprement dits, ceux qui ne savent pas lire. Leur total se monte à un chiffre tel qu’il vaut mieux ne pas l’indiquer. On peut cependant l'imaginer dans la supputation offi cielle de ces conscrits de la classe 1923 pour lesquels l’alphabet reste encore une énigme. Nous venons tous d’apprendre quel est le nombre de ces malheureux, privés de la vue intellectuelle, véritables mutilés de la pensée et notre cœur se serre en songeant qu’ils pourraient à eux seuls former un corps d’armée. Eh quoi, malgré les lois d’instruction obligatoire, malgré la multiplication des écoles pu bliques, si nombreuses aujourd’hui, qu’on en trouve jusque dans les plus humbles bourgades, malgré la diffusion sans pareille du journal quotidien, des milliers, des dizaines de milliers d’hom mes arrivent au régiment sans savoir leurs lettres ? Qu’a-t-on donc fait, depuis vingt ans, sinon des circulaires, puis que, pour un dixième du contingent, les recrues sont incapables d’écrire à leurs familles l’information affectueuse et naïve qu’on demanderait à un voisin de déchiffrer ? Les parents illettrés n’ont-ils donc pas poussé leurs enfants vers la...

À propos

Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.

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