Extrait du journal

Près et à égale distance de la nouvelle gare centrale et de l'Université, le Brühl était la rue la plus animée, la plus mercantile et la plus curieuse de Leipzig. Je dis qu'elle était, parce qu'elle ne l'est plus. Les pelletiers et trafiquants de fourrures y avaient, si l'on peut dire, leur quartier général. Dans des beaux magasins, les peaux travaillées et transformées en manchons, palatines, cols, parements, toques, pelisses, tapis. sorties de bal, douillettes et articles divers s'offraient au choix des amateurs, et dans des. comptoirs, au fond de cours sombres, encombrées, par centaines de mille, des peaux étaient suspendues aux plafonds ou jonchaient les tables, hérissées, raides ou flasques, douces ou rêches au toucher, dépouilles de tous pelages, pileuses, crépues, pelucheuses, rases, laineuses, frisées et de toutes couleurs, les plus rares et les plus vulgaires, peaux de lapins et d'hermines, de loutres et de renards bleus, de castors et de lièvres, d'ours blancs et de jaguars, peaux de bêtes aquatiques ou terriennes, de la montagne ou de la plaine, du pôle et de l'équateur, de tous lieux, de tous continents. Dans ces comptoirs, dans ces cours,.dans ces magasins, dans la rue, partout l'odeur violente de la naphtaline, des relents de graisses et de cuirs. L'Oriental déguenillé coudoyait là le'trafiquant millionnaire, et Juifs à houppelande sordide, Arméniens, Polonais, Grecs à calotte rouge, Persans à bonnet d'astrakan formaient comme une mosaïque d'individus, de types, de gens de toutes classes....