Extrait du journal

Tu ne te plains pas. Tu es ignorant ; tu le sais, et lorsque tu ne t’en vantes pas cela te semble bien égal. As-tu jamais cherché à comprendre où te mène ton ignorance? Non, il’est-ce pas? Qu’est-ce que cela te fait? Tu te livres, pour ainsi dire, pieds et poings liés à.tous ceux qui veulent gonfler leur bourse â|x dépens de la tienne, quel que soit le modte d’exploitation auquel ils te soumettent, qu'ils te vendent un peu de ce qu’ils appellent l’ordre et la sécurité, ou bien qu’ils fassent faire à ta femme ce qu’ils font passer pour des bonnes œuvres en lui promettant d’intercéder pour toi près du Très-Haut. Tant pis ! dis-tu. C’est ta réponse. Ce rôle de vache à lait que tu joues au profit de certains individus peut n’ètre pas gênant pour toi dans les années de récoltes abondantes ; mais dans les années de stérilité il faut que tu le remplisses tout de même. Alors tu dis encore tant pis. Je sais que tu te résignes facilement, attribuant au concours des événements les causes de sa misère. Il est vrai que les événements ont leur part de responsabilité ; mais si tu voyais plus profondément dans les choses tu la trouverais peut-être moindre que celle qui incombe aux hommes qui se sont mis à la tète des affaires. $ Les affaires ! tu n’as jamais su quelle direction elles prennent, combien de fois elles changent de face, commes elles s'ar rangent bien pour ceux qui grignotent autour du budget. A tout cela, suivant ton expression, tu ne vois que du bleu, et tu te sens tout ébouriffé devant ces habiles laideurs de tours, ces parfaits prestidigita teurs qui dirigent le gouvernement. Aussi comme on se laisse aller à faire ^tTêi».sottises ! comme on s’abandonne fàcileiâentlb quelque dévergondage politique ! Bah K dit-on si nous cassons quelque clio^e si nous faisons des frais, Jacques Boqhomme est là, il paiera le brave être. Us ont confiance en toi et, si l’on se place à leur point de vue, on trouve qu’ils k ont raison. Ce qu’il y a de terrible en toi . c’est que tu te figures que tu n’es venu au monde que pour être exploité ; que tu serais inquiet si l’on passait une journée sans le faire et que tes plus grands enne mis sont ceux qui voudraient te prouver que tu es né pour tout autre chose. Aussi, que le gouvernement se mette en tète de te faire dire si tu serais con tent qu’on te coupât le cou suivant le bon plaisir d’un haut personnage, il y parvien dra pour peu qu’il emploie de ces sé ductions qui réussissent si bien auprès de toi. Je suis un de ceux que tu n’aimes pas un de ceux qui p'enserit qùe tu n’es pas né uniquement pour engraisser certaines in dividualités. Je suis un républicain et, c'e^t peut-être trop d’audace à tes yeux, mais je prétends entrer en correspondance avec toi. Voilà pourquoi je t’ai écrit cette première lettre. Nous avons voté tous deux cette année. Toi tu es majorité; quanta moi je suis minorité. J’ai donc été forcé d'accepter ta volonté. Cependant par les raisons que j’ai données plus haut, je crois avoir le droit de dire qu’il est malheureux que les votes s’apprécient, si je puis m’exprimer ainsi, par la quantité et non par la qualité. J’ai la prétention d’affirmer que mon vote est de meilleure qualité que le tien, que mon opinion politique est meilleure aussi que la tienne et si je t’écris c’est pour essayer de te le prouver, ce que j’espère faire dans la suite de mes correspondances. A. Roux....