Extrait du journal

La première impression de patriotisme belliqueux, je l*ai éprouvée hier, à la gare du chemin de l'Est, hier soir, samedi, lorsque dans le flot du peuple passaient, comme un fleuve entre deux rives, les régiments qui partaient pour l'armée de la Moselle. Ils étaient résolus et sombres, ces soldats intrépides, et marchaient, cette fois, non pas avec l'ardeur joyeuse du troupier qui se rend à une promenade militaire sous une pluie de fleurs et un tonnerre de bravos, mais plutôt coume des gens que le devoir rend graves et - qui vont, silencieux et certains d'euxmêmes, à quelque duel terrible. Les bataillons passaient. Dans l'atmosphère poudreuse d'une soirée parisienne, les fusils étincelaient au soleil couchant et, dans cette houle de fer, au-dessus des canons luisants des chassepots, marchait le drapeau, enveloppé de sa gaine d'étoffe noire. Aux fenêtres, les mouchoirs s'agitaient. Point de fanfaronnade. Une certaine tristesse mâle et fière. On sentait que cette nation, jetée brusquement dans l'aventura et dans la guerre, compte sur elle-même, sur son courage et sa vaillance ; et de ces poitrines de soldats un chant sortait, sourd cemme un grondement, farouche comme une menace, la Marseillaise, ce rauquement populaire qu'on laisse maintenant traverser l'air....