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Le Soleil, 1 novembre 1911

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Le Soleil
1 novembre 1911


Extrait du journal

Si Isf liberté et l’indépendance sont 'choses synonymes, il serait difficile d’être de l’avis des écrivains, éminents ou non, qui prétendent avoir la liberté 'de tout pouvoir écrire. L'Art doit être libre, comme toute forme de l’activité humaine, mais l’Art ne saurait être indépendant, pas plus qu’aucun forme de l’activité humaine. Notre propre nature, avec toutes ses impuissances, les dépendances intimes et extérieures de notre être, les rela tions sociales, les exigences du milieu et des circonstances : autant de mailles qui forment le filet où se prend l’or gueil de noire indépendance. L homme naît libre, mais assujetti. L’Art, quelque forme qu’il affecte, a ses limites, les limites mêmes de la na ture humaine et de la société. Qu’il ne soit pas obligé de se faire l'apôtre d'un dogme religieux ou d’une théorie morale, personne ne le nie. L’écrivain, comme le peintre ou le sculpteur, peut livrer à l'admiration du monde une œuvre achevée, sans au cune référence aux lois d'un domaine autre que le sien. Mais par là même que 1 écrivain exerce son art. en tant qu’homme, il est soumis à toutes les lois qui régis sent la moralité humaine, c’est-à-dire qui établissent la conformité de tous nos actes avec notre fin. Les écrivains catholiques ont autant que les autres le sens du droit, le culte de la langue, l’amour du beau ; mais nous estimons que ces qualités se peu vent admirablement manifester sans qu’il soit nécessaire de briser toutes les clôtures d'une honnête liberté pour af firmer 1 indépendance absolue de la plume, de fimage cl de l'idcc. Sortie des saines limites qui la doi vent circonscrire, toute puissance de vient un danger social : la force maté rielle. la politique, l’or, la beauté, l’Art comme tout le reste. Et si l’Art — plastique et littérature — a pour but de donner aux êtres et aux phénomènes de la nature une durée et une perfec tion que la vie des individualités ne comporte pas, l’on peut se demander pourquoi certains artistes, les artistes de la plume, en particulier, puisqu’en l’espèce il s’agit de ceux-là, s attachent à ne peindre de la nature que les côtés qu’il siérait de laisser dans l’ombre. Quel est le père de famille qui expo serait, sans rougir, lame de son fds ou de ses lilles en lace de certains spec tacles de la rue, ou écarterait devant elle les voiles discrets de la vie privée ? Ce qui serait outrage et honte dans la vie vécue devient-ii, par le seul fait d’être reproduit en littérature, un légi time objet de contemplation ? Et ne dirait-on pas justement, à voir les misérables sentiments qui remuent les auteurs à la mode, les dégradantes images qu’ils nous offrent de l’huma nité, que leur esprit est atteint de cette maladie étrange que les Italiens appel lent fa pic a, la « malesie »? Terrible névrose qui pousse ses victimes à 11e trouver de saveur qu’aux ordures, in vinciblement mis en appétit par les im mondices qu’ils préfèrent à toute nour riture saine et morale ? N’y a-t-il vraiment plus dans la somptueuse gamme des émotions hu maines, à travers 1 infini réseau des passions et des événements, d’autres notes à faire sonner que ces éternelles et ressassées descriptions qui semblent composer tout le répertoire de nos écri vains, nouvellistes et romanciers ? Et ce qu il y a de terrible en cela, c’est que, finalement, l’état social est in formé par les descriptions littéraires. Les mœurs publiques sont le fruit des mœurs décrites, l’idée et l’image précédant toujours le fait. Il y a de quoi être étonné d’entendre des hommes intelligents se poser cette question : « Sont-ce les mœurs qui créent la littérature ou la littérature qui crée les mœurs ? » Ou plutôt, il n’y a pas de quoi s’étonner. Devant les résulta fs de leurs œuvres, certains hommes de lettres essaient de se disculper ; ils veulent faire croire qu’ils ne sont que l’écho de leur siècle, le reflet de ses gestes. Ils ne créent pas, ifs exposent ; ils donnent de la vie l’image qu’en réfléchit leur âme : « Qui demandera compte au fleuve des pay sages qu’il reflète en les traversant ? » Sophisme... La vérité est que la litté rature est en avance sur la corruption. Elle s’en fait le pionnier et le mission naire. Certains romans, certains contes ne sont que des apôtres séduisants en tournée d’immoralité. Par son livre ou son article, l’écri vain attire, fascine, racole ; il va troubler l’être simple qui ignorai! jus que-là tel mode de perversion et que . la curiosité va instruire : il %ollicite les v...

À propos

Fondé en 1873 par Édouard Hervé, Le Soleil était un quotidien conservateur antirépublicain. Avec son prix modique, il cherchait notamment à mettre la main sur un lectorat populaire, audience qu'il n'arrivera toutefois jamais à atteindre du fait de ses orientations politiques. Le succès du journal fut pourtant considérable à une certaine époque, tirant jusqu'à 80 000 exemplaires au cours de l'année 1880.

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