Extrait du journal

Au Tonkin, ce fut et c’est encore la même chose. Les légionnaires sont partout, et partout se battent avec un héroïsme sans égal. Ils ne demandent qu'une chose, des chefs; il faut qu’ils sc sachent commandés. Pour eux, comme l’écrit M. de Villcbois-Mareuil, toute la légion s’incarne dans celui qui la commande et, sous son impulsion, elle est prête à tous les sacrifices. Ces soldats déclassés, c’est-à-dire venus de tous les points de l’horizon, beaucoup avec des tares ineffaçables, quelques-uns poussés par le démon de l’imprévu, séduits par l’attrait inexplicable du danger, ont accompli des merveilles épiques depuis des années. Mais c’est encore au Mexique qu’ils se :ont le plus distingués, d’une façon digne des légendes anciennes, et qui peut-être même les dépasse. Le vénérable aumônier de l’Ecole de Saint-Cyr, M. l’abbé Lanusse, a raconté tout récemment, en un volume, cette affaire de Camaron où une soixantaine de légionnaires tinrent, toute une journée, contre des milliers d’assaillants, dans une ferme aux trois quarts démantelée qui leur servit de tombeau, refusant de se rendre, non devant des sommations insolentes, mais devant des propositions honorables où l'admiration d’ennemis étonnés avait sa large part. Ce serait à lire et à faire lire partout, dans tous les régiments, dans toutes les casernes; et pour cela, il n’y aurait qu’à rechercher encore dans la collection de la Iicvuc des Deux Mondes, en l’année 1878, je crois, un article où M. Paul Landes, mort depuis en Espagne, racontait avec une verve inouïe, digne du sujet, cet épisode extraordinaire d’une guerre où la légion se prodigua avec une libéralité d’héroïsme qui touche à l’invraisemblance. Depuis lors, elle a semé ses os un peu par tout, en Cochinchinc, en Anr.am, au Tonkin, et plus récemment à Madagascar, où les batailles et les engagements furent rares, mais où, sous un soleil impitoyable et au milieu de miasmes mortels, elle contribua, pour sa grande part, à la construction de cette route jalonnée, pour ainsi dire, par les cadavres des nôtres. Le jour où la criminelle théorie du nombre aura vécu, après des surprises sur lesquelles on ne compte nulle part, ce sont des hommes de cette trempe qu'il faudra, curieux des aventures, fascinés par le danger, et qui, comme les soldats de Bélisaire et de Narscs, auront raison de hordes insuffisamment instruites et entraînées. Qui sait? C'est peut-être la prochaine guerre qui nous réserve cet enseignement. Jean du Nivelle....