Extrait du journal

M. Henry Fouquier, qui est en même temps un journaliste de talent et un lettré de grande valeur, vient de poser la candidature sénatoriale do M. Ernest Renan, dans une chronique du Gil Glas, qui est vraiment un chef-d’œuvre d’es prit et de bon sens. C’est une éloquente revendication en faveur des lettres; mais, je ne m'imagine pas qu’elle ait bien des chances d’être écoutée. On n’aime pas beaucoup les lettres, dans le milieu politique qui nous dirige. Parfois, un ministre ou un autre trouve, dans un événement quelconque, matière à ampli fication de rhétorique, et alors il s’en donne. La gloire des lettres, l’honneur des lettres, l’influence des lettres, il n’est question que de cela. Si l'on en croyait les orateurs officiels, les lettres seraient entourées d'autant do faveurs que la peinture, et feraient partie, au premier titre, du domaine national intellectuel. On ne sait pas ce qu'un homme disert peut broder de variations sur ce thème. Quand les gens de lettres lisent de pa reils morceaux, ils en pleurent d'émo tion. « Enfin, disent-ils, nous voilà donc placés sur la même ligne que les bar bouilleurs d’un mérite douteux, et l'on commence , en haut lieu, à se rendre compte do notre valeur. »* Et puis, lorsqu’arrive le jour des récompenses, il n’y a rien, ou presque, pour les lettres. Toutes les distinctions officielles s’eu vont à droite et à gauche, à la bouton nière des peintres qui font fortune et. des industriels qui no savent plus même lutter contre la concurrence étrangère. Quant aux lettres, bernique! Je ne parle point, bien entendu, des distinctions ac cordées aux journalistes, ce qui n’est plus tout à fait la même chose. Aussi ai-je ben du mal à croire que la République devienne jamais athé nienne. Non pas qu’elle manque de rhé teurs, Dieu merci ! Sous son égide, les bavards tiennent la corde et la tiennent...