Extrait du journal

En ce temps-là, M. le Premier convoqua d'urgence en son cabinet M. le préfet de la police et, d'un ton qui était le plus gro gnon du monde, il lui dit : — Ah ça ! est-ce que vous allez bien tôt en avoir fini avec vos émeutes du Quartier Latin, i'os charges d’agents et vos mouvements tournants par la rue Hautefeuille et la rue Cujas! C'est évidemment d’un excellent tacticien et il est bien dom mage que vous n’ayez pas vécu sous le premier Empire. Napoléon eût fait quelque chose de vous. Je vous ai même vu, d’une fenêtre, dégager le pont d’Arcole — par don, le pont des Saints-Pères.— Vous aviez vraiment belle allure et votre barbiche avait un air batailleur qui n’était pas pour me déplaire. Mais vous sommes en 1908, ne l'oubliez pas ! Mous allons même Cire incessamment en 1909. Le temps a un peu marché depuis le Corse à cheveux plats et je voudrais bien qu’à propos de M. Nicolas, de M. Landouzy, de M. Bouchard, ou de je ne sais plus qui, vous ne vous mettiez pas à dos toute la « jeunesse pensive » de nos écoles. Car savez-vous ce qui se mijote dans la jeunesse pensive contemporaine, dans ce qu’on appelle les « nouvelles couches » ? Eh bien ! les nouvelles couches ont l’air d'tn avoir plein le dos des sornettes en cours, des vieux clichés, des vieilles bar bes. Vous êtes une vieille barbe, vous, mon sieur le préfet de police, comme d’ailleurs je suis une vieille moustache, et je vous dis, moi, que nous sommes fichus et que notre République aussi est fichue si nous contrarions trop ces jeunes braillards qui seront les hommes de demain.Révoltcs con tre le gouvernement,ils rendront populaire un socialisme suraigu ou une réaction ca rabinée, ou, ce qui est plus dangereux, un mélange de l’un et de l’autre. Et nous n'au rions plus qu’à plier bagage. ûonc.monsieur le préfet de police, vous n’avez qu’à laisser passer les monômes sans faire de drame et surtout sans livrer ba taille. Dites à vos agents d’avoir le « sou rire ». C’est la solution, la seule solution. Pour le reste, je m’en charge. Oui, vous protestez. Vous dites qu’ils recevront sur le nez des tomates et des trognons de choux. Et après ? La vie n'est-elle pas remplie de ces projectiles ? Moi qui vous parle, j’en ai reçu et j’en reçois tous les jours. Et cependant j'ai le sourire, vous le savez bien. Henry de Forge....