Extrait du journal

LA CARMAGNOLE Dans quelques jours, sur l’affiche de l’un de nos théâtres d’opérette, on lira en grosses lettres le titre de cette chanson qui fut tour à tour un odieux refrain de guerre civile et un chant pa triotique rivalisant avec la Marseillaise. 11 y a vingt-cinq ans, il existait encore des vieillards que cet air faisait frémir et à l’audition duquel leur mémoire remuait de sombres souve nirs. La censure la proscrivit longtemps sur le théâtre, où cependant, dès 1792, Montaussicr en avait consacré la popularité par une pièce eu trois actes. La salle entière, quand l’acteur chantait, répétait en chœur te fameux : Dansons la Carmagnole, Vive le son ! (bis) Vivo le son du canon t D’où vient-elle, cette Carmagnole ? On connaît l’origine de la Marseillaise, son immortel auteur ; nul n’ignore comment fut composé le Chant du départ-, mais pour clic on n’a aucun renseignement sur son état civil. Elle est née de parents in connus et qui, sans aucun doute, n’ont jamais tenu à revendiquer leurs droits. A moins que, comme pour bien des poésies populaires, ce ne soit dans l’intimité d’un cabaret quelques ci toyens qui en aient tourné un ou deux couplets qui se sont successivement augmentés avec la collaboration d’autres p Tes anonymes. Comme la Carmagnole a tenu une grande place dans notre histoire, sa genèse a piqué la curiosité de plus duu érudit. C’était, disait l’un d’eux, un vieil air piémontais qui venait de Carmagnola et que nos voisins avaient importé en Provence. Les Mar seillais, ce qui paraît certain, dès leur venue à Paris, furent les premiers à entonner ce refrain et ils n’y adaptaient pas des paroles en langue romane. Aujourd’hui, cependant, il existe, une Carmagnole en provençal. Elle s’appelle la Fcrigoulc. Quoi qu’il en soit, on peut adopter cette ver sion que la musique de la fameuse chanson fut d’abord une sorte de rondeau ou de bourrée qui se dansait en Piémont. On sait la rage des Français de tout tourner en couplets, et c’est quelques anonymes des nôtres qui firent le reste. Mais un autre problème se pose ici, et qui, je le crois, ne sera jamais résolu. Est-ce le vêtement portant aussi le nom de « carmagnole » qui a ensuite servi à baptiser le refrain, ou bien au contraire est-ce le titre de celui-ci qui a été donné au complet révolutionnaire ? Très grave question que la nouvelle pièce éclairera peut-être. Vous me direz qu’elle n’a pas grande importance et que le costume était aussi laid que la chanson. Je trouve, en effet, qu ils sont bien taillés l’un pour l’autre, et je dois avouer que j’ai une dent contre la Carmagnole. Dans mon enfance, il m’arriva de la chanter devant mon grand-père, et je reçus te plus vigoureux soufflet qui puisse être infligé à un bambin. Cette scène m'a créé contre elle un ressenti ment, des préjugés, et je ne l’ai jamais entendue sans angoisse. D’ailleurs, elle se tait pendant des années ; on dirait que le peuple l’a oubliée ou ne la connaît pas ; et puis, que tout d’un coup une agitation partielle ou générale se produise, voilà qu'elle reparaît, qu’on la danse. L’un de nos députés l’a récemment mise en honneur, et pour que nul n'en ignore, il était monté sur une table pour bien entonner le : Vive le sont Vive le son! Vive le son du canon I L’incident fut commenté. Mais ceux qui vi vaient en 1848 prétendent que d’autres hommes politiques de la révolution de Février donnèrent l'exemple à M. Jaurès. Sous la Commune, la Carmagnole devait être de 1a partie, et elle ne...