PRÉCÉDENT

Le Temps, 2 avril 1915

SUIVANT

URL invalide

Le Temps
2 avril 1915


Extrait du journal

LA SÂNTEDE PARIS Les télégrammes de l’étranger nous ont fait connaître une appréciation parue dans la Gazette de Cologne du 26 mars : « L’obser vateur qui sait regarder la vie de Paris doit constater que l’on y travaille, que le peuple est resté sain, et que ce qui a disparu, c’est simplement une vie frivole, sous laquelle se cachait un noyau de vertus solides. » Nous n’éprouvons aucune fierté de ce que •le journal ennemi rende hommage , à la santé .morale .du peuple parisien. Tant,pis jp.oiîr les -lecteurs des journaux allemands s;il$ nous ont toujours jugés-d’après de véritables carica tures. Superficiel ou malveillant, le trait fut toujours inexact II ne pouvait être que. super ficiel, car le peuple français et particulièrement la population parisienne sont, pour ainsi dire, impénétrables. Il n’y a point de pays au monde où l’on ait un tel sentiment de la famille et où le foyer soit si fermé. Ce n’est pas seule ment l’étranger qui n’y entre pas. On hésite longtemps à ouvrir les portes de sa maison à un compatriote, lorsqu’on n’a pas déjà des rela tions assez intimes avec lui. En Angleterre, il suffit d’être présenté. Dans les pays germani ques, toute la*-famille sort vers cinq heures pour aller prendre le café au lait dans les lieux publics et entendre la musique. Avec la dé pense de cette sortie quotidienne, une ména gère française fait vivre tout le foyer pendant deux jours. Il n’y à donc pas à reprocher aux étrangers de ne pas nous connaître. Parmi nos visiteurs, un Américain, M. Barrett Wendel, qui était venu faire un cours libre à la Sor bonne, a réussi à se rendre compte de ce qu’é tait la société française. Le livre qu’il a écrit sur nous et dans" lequel il s’est librement ex primé sans flagornerie, est un chef-d’œuvre de pénétration et de fine sympathie. Cette fermeture hermétique du chez soi est la cause profonde de la résistance opposée en France à l’impôt personnel sur le revenu. La libre démocratie française se refuse à l’inquisi tion fiscale. Il y a d’autres indices. Vous auriez trouvé aisément en • Allemagne (comme en Angleterre) un homme appartenant aux' pro fessions libérales, marié, gagnant de 20,000 à 30,000 francs par an, qui consentît à prendre chez lui un jeune Français désireux de com pléter son instruction. A revenus égaux, vous auriez eu beaucoup de peine à trouver un Fran çais dans les mêmes dispositions. Avec de telles mœurs, comment aurions-nous été connus des étrangers? La plupart de nos visiteurs traver saient Paris sans s’y mêler réellement. Ils voyaient nos restaurants, nos hôtels, nos théâ tres, qui devenaient les uns et les autres de plus en plus internationaux et comme le pro longement des gares de chemins de fer. Faute de nous connaître, on ne se résignait pas ce pendant à ne point parler de nous. Faute d’a voir vu les Français ou les Parisiens chez eux, on se rabattait sur Montmartre, dont l'abord n’est point rébarbatif et ne fut jamais défendu par des tranchées ou des fils de fer barbelés. Les généralisations malveillantes venaient en suite; et l’on nous croyait tous passionnés pour ce que la Gazette de Cologne appelait la « vie frivole ». A force de répéter toujours la même chose, idans le dessein de nous nuire, les Allemands ont fini par y croire. Parmi les propos que le kaiser a tenus pendant les régates de Kiel, au mois de juin dernier, il y en avait un relatif à notre « décadence irrémédiable, dont on trou vait la preuve dans notre amour désordonné pour le tango ». U n’est rien que la lourdeur germanique pour formuler des jugements si légers ! La mode du tango et notre prétendue passion pour cette danse lascive ont pesé d’un poids qu’il est difficile dévaluer, mais enfin’ont pesé.s|.peu que.&e soit dans |es.décision? dukaiser. Ce fut- un élément pour jauger notre capacité, ou plutôt notre incapacité de résis tance. On ne voyait pas, on ne voulait pas voir que la « vie frivole » n’était que le masque et non point le vrai visage de Paris. Il n’y a pas de pays plus sérieux ni plus laborieux que le nôtre; mais ce ne sont pas ces aspects qui re tiendraient chez nous les touristes. C’est leur faute s’ils trouvaient dans la complaisance par fois peu avouable d’un bas mercantilisme la satisfaction de leurs désirs. Des industriels de Lombardie, venus à Paris il y a quelques semaines pour régler des af faires importantes, furent non pas surpris, mais très frappés par la physionomie sérieuse et calme de notre ville. Point d’agitation, point de fièvre, point de crainte. Une confiance se reine, une tenue parfaite, une âme prête aux plus longues épreuves. On croyait nous faire envie, naguère, en nous disant qu’à Berlin la; vie n’était point changée, que les théâtres re fusaient du monde; .que le^cours des plaisirs....

À propos

Le Temps, nommé en référence au célèbre Times anglais, fut fondé en 1861 par le journaliste Auguste Neffzer ; il en fit le grand organe libéral français. Il se distingue des autres publications par son grand format et son prix, trois fois plus élevé que les autres quotidiens populaires. Son tirage est bien inférieur à son audience, considérable, en particulier auprès des élites politiques et financières.

En savoir plus
Données de classification
  • guillaume ii
  • anvers
  • karl marx
  • smolnik
  • troëlstra
  • allemand
  • constant
  • de bethmann-hollweg
  • maurice bernard
  • sven hedin
  • allemagne
  • france
  • paris
  • belgique
  • bismarck
  • europe
  • angleterre
  • athènes
  • berlin
  • hollande
  • sénat
  • cologne
  • v. l
  • marmara
  • union
  • conseil d'etat
  • armée russe