PRÉCÉDENT

Le Temps, 8 septembre 1898

SUIVANT

URL invalide

Le Temps
8 septembre 1898


Extrait du journal

sensibles des deux mondes. L’intrusion des pas sions politiques, pour déplorable et déplorée qu’elle ait été des hommes réfléchis, n’en a pas ' moins eu ce résultat de corser encore l’intérêt du. drame. Un. de nos confrères faisait remarquer-* justement ce matin que, non seulement dans les journaux français, mais dans presque tous ceux des autres nations, le suicide du colonel Henry et la démission de M. Cavaignac ont refoulé au second plan de l’actualité des événements aussi importants que la prise de Khartoum et la cir-; culaire du comte Mouravief. Nous ne pouvons, en France, courir deux lièvres, ni deux fièvres à la fois, et pareillement la badauderie interna tionale aime à sérier ses plaisirs. Elle s’en pro mettait un, qui n’eût pas été médiocre. Nous ne manquons pas en Europe de bons amis qui se frottaient les mains, ces temps-ci, à l’idée que les divisions de l’opinion française finiraient bientôt par mettre notre pays à feu et à sang. Un incendie est beau à contempler, surtout quand c’est la maison du voisin qui brûle. Nos bons amis devront déchanter. Leurs pré visions obligeantes ne seront pas réalisées. Ce n’est pas encore cette fois que le dompteur sera mangé. Nous sommes devenus plus sages qu’ils ne pensent. Nous ne sommes plus d’humeur à nous égorger mutuellement pour l’agrément de la galerie. Les crocodiles du Nil, ou d’ailleurs, car ils ne sont pas tous .à la suite du sirdar Kitchener, pourront faire l’économie dès larmes qu’ils s’apprêtaient à verser sur nos malheurs. Il faudra qu’ils se consolent de leur décônvenue. La guerre civile n’e'st pas déclarée en France, l’état de siège n’est pas proclamé, il n’y a pas trace de barricades sur les boulevards ni de guillotine sur la place de la Concorde. C’est peut-être fort étonnant, pour nos excellents ca marades, mais c’est ainsi, et cela continuera d’être ainsi, et nous sommes au regret de souf fler sur leurs illusions, mais la vérité nous con traint- à leur dire qu’il n’y a point apparence que cela doive changer.- * . - ' Que l’ordre de la rue n’ait pas été un instant troublé depuis le commencement de cette trou blante affaire, ce ne sera certainement pas le trait le moins caractéristique de la présente pé riode de notre histoire. L’angoisse intime des âmes, les susceptibilités patriotiques, le coup de tonnerre des révélations les plus inattendues, tout concourait, on en conviendra, à affoler une population impressionnable et nerveuse. Quel ques politiciens, aveuglés par l’esprit de parti, s’employaient sans relâche à exaspérer le pa tient. Rien n’y a fait. Ni la surexcitation bien naturelle née des événements, ni celle que des agitateurs professionnels obtenaient par une . culture savante, n’o.nt réussi à faire perdre à ce peuple la maîtrise de soi-même. Dans les tristesses de l’heure, il y a là, pour nous, une compensation et un adoucissement. Il semble que tout Français, quel que soit son avis sur le fond de l’affaire Dreyfus, doive être heureux que le drame se soit cantonné dans les consciences et n’ait point débordé dans la rue. Mais, en outre, les républicains ont particulière ment sujet de se réjouir. L’objection capitale de leurs adversaires conservateurs était tirée d’une incompatibilité prétendue de la liberté et de l’or dre. Si jamais la liberté de discussion fut pous sée jusqu’à ses extrêmes limites et parfois jus qu’aux plus fâcheux écarts, c’est bien dans l’af faire Dreyfus. Et la paix publique n’en a pas sérieusemerit souffert. Il est permis de penser qu’au contraire un régime de compression, fer mant cette soupape de la discussion libre, eût bien pu réduire les deux partis antagonistes à vider moins pacifiquement leur querelle. Les institutions républicaines ont été en quel que sorte mises à l’épreuve par cette pénible affaire. L’épreuve a été rude ; mais le triomphe de la République, qui s’en est tirée sans dom mage, n’est que plus significatif. Ses ennemis ne cachaient pas, il y a peu de temps, leur es poir de la voir sombrer dans l’aventure. Elle en sort victorieuse, et ce n’est pas là un négli geable symptôme de vitalité. Les accidents sont inévitables dans la vie des gouvernements comme dans celle des particuliers. Personne n’y échappe. Ce qui diffère d’un régime à l’au tre et d’un individu à l’autre, c’est la capacité de résistance. Aucun régime encore en ce siècle n’avait pu résister vingt ans. La République est dans sa vingt-huitième année > elle a vécu mal gré les crises les plus redoutables, malgré le boulangisme, malgré l’affaire Dreyfus. Ces crises-là sont comparables à celles par où se résolvent les maladies des êtres organisés, et d’où, lorsqu’ils n’y succombent pas, ils se re lèvent guéris et munis d’une vigueur nouvelle. On les appelle communément des crises de santé. Après celle que nos institutions viennent de subir, on peut diagnostiquer que la santé de la République est décidément excellente....

À propos

Le Temps, nommé en référence au célèbre Times anglais, fut fondé en 1861 par le journaliste Auguste Neffzer ; il en fit le grand organe libéral français. Il se distingue des autres publications par son grand format et son prix, trois fois plus élevé que les autres quotidiens populaires. Son tirage est bien inférieur à son audience, considérable, en particulier auprès des élites politiques et financières.

En savoir plus
Données de classification
  • salaün
  • kossuth
  • sœur marie
  • frémont
  • lagrange
  • adrien hébrard
  • chouraqui
  • ruiz
  • félix pécaut
  • bohême
  • allemagne
  • crète
  • france
  • angleterre
  • fontenay
  • alsace-lorraine
  • europe
  • yves
  • paris
  • grèce
  • la république
  • union postale
  • cologne
  • ecole normale
  • école normale supérieure
  • parlement
  • une république