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Le Temps, 11 janvier 1899

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Le Temps
11 janvier 1899


Extrait du journal

Nous n’avons rien dit hier de la démission de M. Quesnày de Beaurepaire, le gros incident du -jour, parce que nous attendions les explications complètes qu’il promettait pour aujourd’hui. Celles qu’il avait données tout d’abord avaient semblé un peu minces. Il y avait plus de mots que de faits, de ressentiments subjectifs que de raisons positives.Tout le inonde avait été frappé de la distance qui restait entre la gravité de l’acte accompli et les motifs allégués. Au fond, M. Quesnay de Beaurepaire ne faisait à la chambre criminelle de la Cour de cassation, ou plutôt à quelques-uns de ses membres, qu’un procès de tendance. Nous devons avouer que tes explications nouvelles qu’il a fournies ce matin n’ont pas comblé la distance dont nous parlons ni modifié le caractère de ses révéla tions premières. J usqü’à présent, nous n’avons eu que la protestation littéraire d’un homme, assurément respectable, mais qui, pour appuyer sa protestation, n’allègue contre ses collègues que des circonstances extérieures, ou de menus faits de détail dont pas un ne touche réelle ment au fond de l’affaire qu’instruit la chambre criminelle. A ces faits, plus ou moins bien établis, com me les sentiments personnels de tel ou tel mèmbredela Cour, les égards témoignés à un té moin qui était un prisonnier, les dispositions in times apportées à l’enquête par le président Mazeau, on peut accorder plus ou moins d’impor tance, suivant la conviction à laquelle on obéit soi-même. Mais èn quoi touchent-ils à l’affaire . elle-même ? Admettons, bien que cela ne soit pas prouvé, qu’il y ait eu chez certains magis trats, eh dè certains moments, hors des séances de la Cour, quelque laisser-aller dans la tenue, quelque relâchement dans la sévérité et le déco rum qui conviennent à la toge : comment en déduire sans violence que l’instruction est mal conduite et viciée dans sa forme et dans son fond ? M. Quesnay de Beaurepaire sait-il plus que nous ce qui se passe dans les séances de la chambre criminelle ? De quel droit préjuge-t-il un arrêt que ces magistrats n’ont pas encore formulé et sur lequel, si on les interrogeait, ils répondraient sûrement qu’ils n’en savent rien eux-mêmes et n’en peuvent rien savoir tant que l’enquête n’est pas encore terminée ? En réalité, M. Quesnay de Beaurepaire n’a qu’un grief nettement défini contre la chambre criminelle. Il lui reproche de n’avoir pas donné de piano un arrêt définitif et de n’avoir déclaré que l’affaire « n’était pas en état » que pour faire sur le fond’même une enquête que la rai son d’Etat commandait de ne pas ouvrir. Or, c’est encore là un raisonnement peu solide. La loi donne-t-elle oui ou non aux membres de la Cour de cassation, s’ils jugent qu’une affaire n’est pas en état d’être jugée, tout pouvoir de faire les enquêtes utiles pour éclairer ce qui leur parait obscur? Faudrait-il donc, pour être impartiaux, qu’ils tirassent au sort leurs arrêts ? De quel droit, dès lors, faire à ces juges un crime d’avoir estimé, en présence de tant d’allégations contrai res, en présence d’une lettre du général Zurlinden, ministre de la guerre, qui se trouve au dossier, qu’ils n’étaient pas, en octobre dernier, en état de juger équitablement et que leur de voir était, dès lors, de s’entourer de toutes les garanties d’une impartiale justice ? Est-ce uh magistrat qui peut faire un tel reproche à d’au tres magistrats, ses pairs ? lien serait tout autrement si Ton nous ap portait des preuves que la chambre criminelle, transformée en chambre d’instruction, refuse de recevoir tel ou tel témoignage, écarte telle ou telle pièce sans l’examinêr, bref limite ou mu tile l’instruction suivant son caprice. Mais quel est le dossier qu’elle n’ait pas réclamé, quel est le témoin qu’elle ait refusé d’entendre? Si M. Quesnay de Beaurepaire a, comme il sem ble l’indiquer, des renseignements particu liers à donner sur l’affaire, que ne demandet-il à être entendu? Nous verrons bien-ai la. Cour ne voudra pas recueillir son témoignage. Mais si véritablement-aucun de' ces reproches ne peut être fait à la chambre criminelle, à qui fera-t-on croire que quatorze magistrats jus qu’ici parfaitement honorables et honorés, de provenance diverse et sans doute aussi de dis positions très différentes, se sont entendus pour violenter la vérité, tordre la justice et trahir du même coup leur serment et leur pays ? D’ailleurs, à quoi cette invraisemblable com plicité leur servirait-elle et qu’y gagneraient-ils? Si l’instruction se poursuit en secret, ne saventils pas que tout viendra à la lumière le jour de l’audience publique ? Les témoignages recueillis ne sont-ils pas signés par les témoins, les pièces analysées et discutées par les conseillers instruc teurs et par la défense? Que pourrait-on dissi muler? Tout ne sera-t-il pas mis sous les yeux du public qui pourra se faire alors une pleine et entière conviction ? Enfin, l’arrêt rendu, quel qu’il soit, ne devra-t-il pas être motivé, et ne serons-nous pas tous les jugés suprêmes pour dire si oui ou non les magistrats de la Cour de cassation ont jugé conformément à la vérité des faits et suivant la justice des lois ? S’il devait y avoir alors matière à critique ou à protesta tion ne serait-ce pas un devoir pour tous et pour un magistrat plus que pour personne, d’atten dre ce moment, au lieu de se livrer dès à pré sent à des démonstrations qui,nous le craignons bien, serviront plutôt à exciter les passions, qu’à apporter au débat plus de lumière....

À propos

Le Temps, nommé en référence au célèbre Times anglais, fut fondé en 1861 par le journaliste Auguste Neffzer ; il en fit le grand organe libéral français. Il se distingue des autres publications par son grand format et son prix, trois fois plus élevé que les autres quotidiens populaires. Son tirage est bien inférieur à son audience, considérable, en particulier auprès des élites politiques et financières.

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