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Le Temps, 17 août 1885

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Le Temps
17 août 1885


Extrait du journal

se trouvaient réunies au suprême degré dans la personne de Chanzy — viennent à chaque instant se briser contre les obstacles que jamais les grands hommes de guerre dont l’histoire nous a transmis les hauts faits n’ont pu surmonter ? Ces obstacles, vous les connaissez. 11 y avait d’abord le nombre ; un flot d’ennemis attaquant de front, débordant de tous les côtés à la fois, unissant à l’ardeur que donne une série de victoires remportées sur dés troupes considérées jusqu’alors comme invincibles toutes les ressources de la science moderne, une haine invétérée contre la France et la soif de ven ger d’anciennes défaites. Que pouvait opposer Chanzy à ces masses acca blantes? Vous me répondrez peut-être, en vous ba sant sur des faits historiques, que les hommes de génie savent vaincre même avec des forces bien inférieures en nombre àcelles de leurs adversaires; vous me citerez Alexandre, César, Napoléon, bien d’autres encore. C’est vrai. Mais ces généraux con duisaient au combat des troupes d’élite façonnées depuis longtemps au rude métier de la guerre, tandis que celui dont nous honorons la mémoire ne disposait que de quelques milliers de soldats improvisés, recrutés a la hâte, sachant à peine se servir de leurs armes. Ces soldats possédaient sans doute les qualités guerrières données par la na ture aux fils de la France : l’élan, la vaillance, l’a mour de la gloire. Mais ils se trouvaient presque tous complètement dépourvus de celles qui s’ac^quièrent par l'habitude, par l’éducation militaire, par la confiance dans les ordres de chefs dont on a pu expérimenter la valeur. Puis, il faut bien l’avouer, la guerre que nous soutenions n’était pas populaire. La nation se ré signait aux sacrifices réclamés par le gouverne ment, mais elle ne brûlait pas de ce feu sacré qui, à d’autres époques, nous avait permis de résister victorieusement à l’Europe entière coalisée contre nous. Subissant enfin la fâcheuse influence de ceux qui ne craignaient pas de blâmer beaucoup trop haut la continuation des hostilités, elle montrait peu* de confiance dans le résultat d’une lutte attri buée, bien à tort, à l’aveugle entêtement d’un seul homme. Ce déplorable état des esprits réagissait sur de jeunes troupes arrachées précipitamment à leurs foyers, n’ayant entre elles aucune cohésion. En présencé de l’ennemi, elles se conduisaient vaillam ment. Après avoir repoussé des attaques -répétées, obtenu un succès, elles se montraient pleines d'éntrain; puis lorsqu'elles voyaient, au lendemain d’une affaire où elles n’avaient perdu aucune posi tion, qu’il fallait cependant opérer un mouvement en arrière parce que l’ennemi, utilisant son im mense supériorité numérique, tournait au loin une de nos ailes, l’inquiétude les gagnait, elles se con sidéraient presque, tout en se battant sans cesse, comme des victimes sacrifiées. . Tels étaient, messieurs, les obstacles contre les quels Chanzy avait à lutter, obstacles bien faits, vous en conviendrez, pour apporter un certain trouble dans l’âme la mieux trempée, et cependant jamais un sentiment de défaillance n’a pénétré dans le cœur du commandant en chef de la deuxième armée de la Loire. Il a constamment su tirer le meilleur parti possible des moyens d’action fort imparfaits confiés à son patriotisme, et, quoi que les espérances de victoire ne se soient pas réalisées, il a eu du moins l’honneur d’inquiéter , sérieusement nos implacables ennemis, de les tenir plus d’une fois en échec, de prouver que, si le draEeau de la France pouvait être déchiré, ses lameaux, tenus d’une main ferme, flottaient toujours au vent. Aussi la mort prématurée de l’illustre général at-elle été pour ses anciens compagnons d’armes, pour le pays tout entier, un deuil cruel et pro fond. On a compris que notre chère patrie per dait un de ses plus loyaux défenseurs, un homme de guerre universellement respecté et sur lequel, en toutes circonstances, nous avions le droit de compter. Aujourd’hui, nous ne pouvons que rendre à sa mémoire le tribut de nos vifs regrets et de notre reconnaissance. Mais pour le faire d’une manière digne de lui, et surtout utile au relèvement de la France, relèvemènt qui doit être l’objet de nos constantes préoccupations, il ne suffit pas d’ériger ici un monument, il faut imiter les exemples de té nacité patriotique, d’indomptable et virile énergie que Chanzy nous a donnés. Il faut que ses nobles vertus soient aussi les nôtres. Que le découragement ne pénètre donc jamais nos cœurs, et, en contemplant notre armée réor ganisée, pourvue des armes les plus puissantes qui aient existé, commandée par des chefs dignes ému. les de celui dont ce bronze nous rappelle les traits, composée de soldats sachant non seulement mou rir, mais encore ramener la victoire sous nos dra-' peaux ; en voyant l’ardeur avec laquelle nos jeunes gens se livrent aux mâles exercices qui, en aug mentant la vigueur et la souplesse du corps, ap prennent à combattre avec succès, reconnaissons que l’épée de la chère mutilée n’est pas brisée. Ne perdons non plus jamais de vue les causes pour lesquelles ni les efforts ni les latents de Chanzy n’ont pu triompher des obstacles semés sous ses pas ; ne permettons pas à des innovateurs im prudents, trop oublieux des leçons sévères du passé, de détruire en France cet amour du métier des armes, cet esprit chevaleresque, ce noble sen timent d’abnégation et de dévouement à la patrie, qui nous ont rendus autrefois les arbitres de l’Eu rope. m Nos armées se sont toujours rappelé, même aux époques les plus troublées de notre vie politique, que sous les plis du drapeau de la France il n’y a plus d’opinions, plus de partis ; que tous les bras, ue tous les cœurs doivent s’unir pour la défense e l’honneur et de là sécurité nationale. La deuxième armée de la Loire et son valeureux chef n’ont pas failli à ce devoir. Cette armée, per-. sonne ne l’ignore, était composée de soldats, d’offi ciers ayant des vues politiques très opposées. Mais, en présence des dangers qui menaçaient noire indépendance et des maux qui accablaient la France, ces divergences ont été oubliées. Tous, : sans exception, n’ont obéi qu’à une pensée unique : celle de résister sans trêve ni repos pour délivrer le sol envahi de la patrie....

À propos

Le Temps, nommé en référence au célèbre Times anglais, fut fondé en 1861 par le journaliste Auguste Neffzer ; il en fit le grand organe libéral français. Il se distingue des autres publications par son grand format et son prix, trois fois plus élevé que les autres quotidiens populaires. Son tirage est bien inférieur à son audience, considérable, en particulier auprès des élites politiques et financières.

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