Extrait du journal

tonne, car je te jure, ma Blanche, que je n’ai aucun motif sérieux de mécontentement. Au cun, tu entends... Faut-il t’avouer ce qui m’ést arrivé? Je suis revenu à pied du cercle, et.,, place éaint-Miçhel,'l’envie m’a pris de faire un souper d’étudiant, avec un bock et une tranche de jambon. La bière m’a semblé froide ; pour me réchauffer, j’ai pris du cognac. Tout cela m’a donné mal à la tête, m’a étourdi. Les objets tournent... Tu valses avec moi. Ma mine dé faite est celle d’un homme qui a le mal de mer. Mais je suis content, très content. — Je vais vous faire du thé. — Si tu n’as pas sommeil toutefois, chère petite... Quant à moi, je n’ai nulle envie de me coucher. On est bien • ici. Le tourbillon dans lequel je suis ne me déplaît pas. Il est silencieux comme le mouvement de l’univers. Oui, il me semble que c’est le mouvement de l’univers qui m’est rendu sensible... Sais-tu, Blanche, combien il est rapide? Je ne me rap pelle plus les chiffres. C’est à donner le vertige', comme toute chose, d’ailleurs, lorsqu’on va au fond. Il ne faut pas regarder si loin... Il faut s’en tenir aux objets familiers, si accueillants. O ma lampe !... O mes livresI... . Il parlait seul, car Blanche était à Toffice^ dressant le plateau, mettant de l’eau dans le samovar, un peu rassurée par l’explication à moitié vraie de son père, prête à sourire de sa mésaventure. Elle le retrouva, la tête sur les coussins du divan, les yeux fermés. Elle laissa chanter l’eau, remonta la lampe, et s’assit les pieds tendus vers le feu. Au bout d’une heure il se réveilla : — Et ce thé, ma Blanche ? — Voilà, père. . Elle allait lui porter sa tasse, mais il se leva. — Tiens! dit-il, le mouvement de l’univers est arrêté. Le thé brûlant acheva de le remettre. Hélas 1 elle le voyait s’assombrir. Sa gâieté était factice, comme son ivresse, et se dissipait aussi facilement. Il remarqua l’expression alarmée de Blanche. Alors il reprit, en toute lucidité, la résolu tion d’oublier Catherine. S’il le voulait; c’était possible. Tout l’aiderait à se sauver d’elle : sa femme, sa fille, l’étude, la douceur de sa mai son qui, ce soir l’enveloppait, le pénétrait subtile et réconfortante. Se tuer, lui plein de force? et de ressources, lui qui pouvait chercher et...