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Le Temps, 4 septembre 1898

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Le Temps
4 septembre 1898


Extrait du journal

VAGABONDS ET MENDIANTS Il ne se pose pas, devant les conseils généraux, de question plus grave ni plus urgente que celle du va gabondage, il n’en est pas qui intéresse davantage la sécurité des personnes et des biens dans les cam pagnes. Aussi ne faut-il pas s’étonner de l’attention qu’on lui a accordée dans cette dernière session au moins dans certains, départements qui .souffrent peut-être plus que d’autres de ce fléau. M. le sénateur Lesouëf a présenté au conseil géné ral do la Seine-Inférieure, sur cette question et les moyens de la résoudre, un rapport très étudié qui a donné lieu à une intéressante discussion. Il faut dire que la Normandie est une terre bénie pour les va gabonds et les mendiants. Elle s’étend entre Paris et les plages : deux centres d’attraction pour cette classe de citoyens nomades qui ont pris l’habitude de vivre en tendant la main. Aller de l’un à l’autre dans la saison d’été est une sorte de villégiature pour les mendiants, qui goûtent ainsi les plaisirs de la campagne, respirent le bon air, dorment à l’om bre des grands bois, tout en continuant jour après jour leur métier lucratif. Ce sont tout le long de la route des villages prospères et de grosses fermes qui sont autant de stations de repos. Les chemi neaux que. la nuit surprend y trouvent toujours une bonne écuelle de soupe paysanne et un lit de paille fraîche. Ils n’en demandent pas davantage. Ce ne serait rien encore si tout se passait en au mônes. Mais ces prétendus ouvriers, qui demandent du travail et se sauvent dès qu’on leur en offre, ne doutent pas qu’ils n’aient le droit de vivre. sur le pays qu’ils traversent, et parfois ils exigent avec menaces ,ec qu’on est trop peu empressé à leur four-, air. Ils terrorisent la ménagère restée seule à la ferma pendant que le fermier et ses aides sont à la moisson pressante ; ils dévalisent les vergers, et, quand on les-chasse, ils se vengent souvent en met tant le feu aux granges ou aux meules dans les quelles ils ont dormi. Combien de vols, d’incendies, d’assassinats même leur sont imputables! Quoi qu’il en soit, les paysans commencent à trouver im portuns et dangereux ces hôtes de passage, et font à leurs élus un devoir pressant de les en débarras ser. Voilà ce que M. Lesouëf qui est aussi un agri culteur du pays de Caux a exposé à ses collègues du conseil général de Rouen. Il n’y a pas deux avis sur le bien fondé de ces plaintes et de ces requêtes. Mais le moyen de faire droit et de résoudre ce problème si compliqué ? Les deux méthodes préconisées dans les congrès d’assistance publique, la méthode répressive et la méthode préventive ont été développées devant l’assemblée rouennaise. Heureusement, elles ne sont pas exclusives l’une de l’autre ; au contraire, elles s’appellent et se complètent, et le vote final du con seil a été qu’il fallait les employer toutes deux. C’est le préfet, M. Hendlé, dont, pour le dire en passant, la popularité n’a jamais été plus grande que depuis qu’il a été question de sa retraite, qui a insisté avec autant de bon sens pratique que d’éner gie administrative sur l’insuffisance des moyens de répression. Les deux protecteurs naturels du paysan et de sa propriété sont le gendarme et le garde champêtre. Le gendarme est un homme fort et grand dont le seul aspect impose aux malandrins des grandes routes. Malheureusement, on l’emploie à d’autres besognes. On le retient dans les salles d’au dience où il pourrait être aisément remplacé ; il est aux ordres de l’autorité militaire qui absorbe sontemps et ses forces. On l’oblige à conduire les pri sonniers de brigade en brigade, comme si les che mins do fer n’étaient pas encore inventés. Comment pourrait-il encore surveiller les mendiants et les va gabonds ? Reste le garde champêtre ; mais souvent il est vieux et faible ; en tout cas, il est insuffisamment.payé'et fait, à côté de son office,-un.autre mé tier dont il a besoin, pour vivre. Le maire lui fait balayer la mairie, ou tenir les registres en ordre. Bref, le garde champêtre et le gendarme sont d’un côté, les vagabonds et les mendiants sont d’un autre ; ils ne se rencontrent presque jamais. Le conseil général a prêté une oreille, attentive à ces constatations qui ne venaient pas d’un membre de l’opposition, mais du premier magistrat du dé partement et n’a pas manqué d’y applaudir et de les saluer comme l’annonce de quelque réforme heu reuse. Mais il n’a pas été moins intéressé par M. Le souëf s’efforçant de démontrer que la répression toute seule ne suffirait pas et demandant d’y ajouter des mesures préventives d’humanité généreuse et intelligente. La mendicité et le vagabondage ont deux causes, dont il faut tenir compte : la misère et de mauvaises habitudes. Or, ces deux causes, la prison ne les gué rit pas; elle les aggrave; car le malheureux en sort un peu plus misérable, un peu moins habitué au travail. Discerner la vraie misère pour lui venir pratiquement en aide et la sauver de la mendicité qui démoralise ; amener peu à peu le fainéant d’ha bitude à faire un premier effort pour gagner le pain qu’il mange ; lui apprendre que ce pain a meilleur goût que celui qu’on mendie ou qu’on dérobe, voilà ce que pourraient faire des institutions comme celles qu’a imaginées l’assistance par le travail. L’honora ble rapporteur a fortifié sa thèse en racontant les résultats extraordinaires que ces maisons de refuge où l’on donne le vivre et le couvert aux mendiants et aux vagabonds moyennant quelques heures de ; travail, ces sortes d’auberges rurales non gratuites mais bienfaisantes, qui sont tout ensemble des for mes etdes asiles, ont produits àl’étranger, surtout aux Pays-Bas, en Suède, en Allemagne; Ses collègues ont paru convaincus et gagnés. L’assistance par le travail fonctionne déjà dans les villes; il s'agirait de l’organiser dans les campagnes ou la chose serait certainement bien moins coûteuse et plus facile. . Mais quelle que soit la bonne volonté de i’administration, il ne faut pas s’imaginer qu’elle seule puisse tout faire. Encore ici, il faut que l’initiative privée s’en mêle; il faut que les fermiers qui se plaignent si fort du vagabondage veuillent bien s’associer pour aider à la création des asiles dont nous parlons, où ils pourront renvoyer ceux qui les importunent aujour d’hui et où se fera bien vite le départ entre les vrais...

À propos

Le Temps, nommé en référence au célèbre Times anglais, fut fondé en 1861 par le journaliste Auguste Neffzer ; il en fit le grand organe libéral français. Il se distingue des autres publications par son grand format et son prix, trois fois plus élevé que les autres quotidiens populaires. Son tirage est bien inférieur à son audience, considérable, en particulier auprès des élites politiques et financières.

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