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L’Écho de Paris, 3 juillet 1892

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L’Écho de Paris
3 juillet 1892


Extrait du journal

' Eh bien, non ! s'écrie Fortunat, malgré tout, je persiste à soutenir que par vos in ventions puériles, vous avez, peintres et poètes, totalement adultéré la légende du docteur Faust. Que Faust ait signé un pacte avec le Diable, Satan humanisé déjà et moins ter rible qu'ironique, à la ressemblance du quel l'âme inquiète du Moyen-Age sereS résentait le savoir humain ; qu'il se soit onné tout entier, et qu'en retour, le sub til révolté, chèvre-pied comme le dieu Pan et comme lui possédant le secret des énergies mystérieuses, ait concédé au vieil hermétiste moribond quelques gouttes du précieux philtre, voilà qui est précis, prou vé, historique pourrais-je dire. 1 ' Mais que le docteur s'en soit servi de la façon que l'on raconte, gaspillant sotte ment pareil trésor dans une aventure amoureuse d'étudiant de première année, voilà ce que je ne crois pas. Payer de son éternelle damnation des plaisirs aussi mi sérables, c'eût été certes payer trop cher. Depuis longtemps, je soupçonnais que les choses avaient dû se passer d'autre sorte: or justement, pas plus tard qu'hier, .un méchant bout de parchemin couvert d'écriture gothique et servant de garde intérieure a un bouquin, d'ailleurs sans intérêt, que je venais d'acheter, inique ment pour la beauté de la reliure, aux étalages de l'ami Vaillant, sous les gale ries, m'a permis de connaître la vraie vé-„ rité sur ce point. Le document est en la tin, voulez-vous que je vous en fasse l'a nalyse ? Ce disant, Fortunat montrait le parche min en question, reste de manuscrit ro gné jusqu'au texte, heureusement lisible encore et à,peu près intact sauf pour les lettres ornées dont les enluminures, rouge et bleu, mordant sur la marge, avaient souffert de l'atteinte des ciseaux. L'offre était tentante, on accepta d'en thousiasme. Nous savions que Fortunat, tout à la fois poète et mage, riche également de science et d'imagination, était parfaite ment capable de reconstituer le plus vrai semblable dés romans d'après quelques lignes plus qu'effacées. Sans Compter qu'il avait un peu l'air de Faust lui-même, cet excellent Fortunat, avec sa simarre en velours, sa longue barbe blanche avant l'heure, dans cet atelier de peintre trans formé par lui en laboratoire, au milieu des alambics, des bocaux, des creusets et aussi des appareils tout cuivre, nickel et fin acier dont la moderne sorcellerie va se fournir en Amérique. Or voici ce que notre ami nous conta, cachant peut-être sous le voile d'un sym bolisme mystérieux le secret de sa propre histoire. — Jadis, il y a mille et mille ans, dans Une ville très antique, vivait un vieil homme si vieux que les vieux ne se rap pelaient pas l'avoir vu jeune et que les jeunes étaient habitués à le croire .aussi Vieux au moins que la vil!&. Personne ne connaissait plus son vrai nom ; mais comme on l'avait vu toujours heureux et comme son bonheur semblait croître avec les années, ou avait surnom mé Faustusce sage quand même souriant malgré les rides, ce qui, dans l'idée et le mauvais latin des gens, devait signifier homme favorisé des Dieux ou quelque chose d'approchant. Comment avait-il résolu le problème du bonheur sur terre que tant d'autres cher chent vainement ? Peut-être trouverait-on l'explication du my stère dans ces simples mots inscrits en grec à l'entrée de son modeste logis : POUR VIVRE HEUREUX, RÊVE TA VIE C'est ainsi qu'en effet il avait vécu, né gligeant la contingence des événements 'pour l'étude des causes éternelles, s'eniretenant avec le brin d'herbe et la fleurie matin dans son jardinet, épiant, le jour, devant ses creusets, l'obscure conscience des métaux, le soir, du haut d'une petite tour, interrogeant les calmes étoiles ; et £e consolant par le rêve de la gloire, de l'amour, de la richesse, chimères à la poursuite de qui la plupart des hommes usent le meilleur de leurs jours. Non pas qu'il eût échappé à la loi com mune; car loin, très loin, au plus pro fond de son souvenir, parfois dans les heures de solitude lui apparaissait l'image, mais si vaporeuse et si vague, d'une en fant jadis compagne de ses jeux, qu'à douze ans, sans savoir, il avait aimée. Il s'en inquiétait, se demandant : — Pourquoi regrettes-tu, centenaire, ces illusoires joies d'amoui que jeune et fort tu méprisas ? Et plus son corps devenait vieux, plus par un retour mérité son âme devenait jeune et l'image de l'Aimée plus obsédante et plus distincte, car la nature toujours se venge et trouve toujours son recours. C'est alors qu'il se mit à chercher un philtre qui redonnerait la jeunesse, sans projet bien arrêté d'ailleurs et plutôt —...

À propos

Fondé en 1884 par Aurélien Scholl et Valentin Simond, L’Écho de Paris était un grand quotidien catholique et conservateur. Il était sous la coupe financière du célèbre homme d'affaires Edmond Blanc, propriétaire notamment de plusieurs casinos et hôtels de luxe à Monte-Carlo.

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