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L’Écho de Paris, 12 janvier 1892

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L’Écho de Paris
12 janvier 1892


Extrait du journal

Toute la nuit, de,la,neige est descendue sur Paris ; et, le matin, les boueux, à la lueur des derniers becs do. gaz, sont de meurés béants devant leur besogne vaine. Au jour, les maisons ont des couleurs tristes de vieux, linges-, entre l'éclatante blancheur des toits et le velours blanc ; des rues,; .tandis que des appuis de croi sée, des angles de fenêtre," des balcons, des saillies d'édifices, des frontons de mo numents sont mis en valeur, d'une ligne claire, lumineuse, qui change les roliefs, transforme la ville adossée sur le fond gris du ciel én un décor de féerie. La vie pourtant s'éveille, mais une vie alentie, comme d'une cité dormante qui rêve. Les voitures,plus rares, ont des rou lements muets; les bruits sont pensifs. Sur les trottoirs, des piétons, s'ouvrant des sillons minces dans la neige, allon gent comme de grands serpents noirs le rampement des sentiers qu'ils tracent. Et sur eux, autour d'eux, comme de lents papillons qu'une tourmente a brisés, les îlocons se posent, mouchetant les .paletots des hommes, les jupes des femmes; aux plis des vêtements, ils s'accumulent, sou lignant de leur lumière comme d'un trait de force, l'habitude du corps engoncé, ra massé sous le froid. Dans les quartiers riches, par les gran des avenues mortes, où plane ia paix des longs sommeils, les arbres croisent des ramilles blanches à des ramilles noires. Sous une chaleur demeurée des obscurs labeurs de leurs sèves, de la neige- fond qui tombe goutte à goutte avec un son mat, comme des larmes. Sur l'allonge ment à l'infini d'ouate immaculée, la sil houette lointaine d'un gardien de la paix, noir, campé dans ses bottes, semble une statue en détresse, oubliée là. Des moi neaux jettent de petits cris. Un vol effaré rase la neige, passe et repasse, se pose, sautille un moment, puis disparaît. , Au bout de là ville, par delà les avenues désertes, les fortifications ont des rigidités de murs blancs, des arêtes implacables, enserrant la ville, comme un mur do cime tière enserrant des tombes. De là pourtant, une voiture s'avance lentement, une lourde voiture de blan chisseuse. Elle vient de loin : elle aussi est toute blanche. Par-dessus la tête du cheval d'un gris sale, baissée sous l'effort attentif des membres, elle s'ouvre, noire comme une gueule de four. On distingue la face du conducteur, vague pâleur cer clée de rouge par un cache-nez où elle s'en fouit, sa blouse bleue sanglée d'une saco che, ses mains, sous d'énormes gants de laine, tirant sur les guides, soutenant le cheval qui glisse, hésite, le col tendu, la bouche tordue par le mors, élargissant nn sbuffle opaque. La tête de l'homme, de temps à autre se tourne, s'incline, vers une fillette assise près de lui. Elle, blonde, en cheveuxv .le buste gonflé de l'entortillement d'un chàte de laine noire, est toute poudrée de la neige que le vent lui jette au travers. Des flocons étoilent ses frisures blondes, où ils fondent comme sur une flamme, ses cils, où une flamme encore semble les dé vorer; et là-dessous, elle rit, les yeux mouillés, tandis que dans le glacis de ses lèvres rouges avivées, l'éclair de ses dents semble une neige aussi, une neige qui ne fondrait pas. En la regardant, l'homme a oublié le cheval. La bête glisse, s'abat. L'homme le relève à grands coups.de fouet. 11 se sou lève, retombe, s'écartèle, surgit pourtant du sol, dans l'effort désespéré de ses mus cles; et pour repartir, il glisse encore, mord la neige de la pince de ses fers lui sants, tire, tire, finit par démarrer, l'air ivre,aveuglé parla neige. La fillette a eu peur. Elle s'est serrée contre l'homme. 11 lui passe son bras au tour de la taille, doucement. Maintenant, les rênes flottent. Le che val abandonné va d'une allure cahotée, la croupe basse,une hanche fléchie à chaque pas, d'un mouvement qui serpente. Eux se regardent, attendris, enveloppés par le silence qu'épand la neige, par la solitude, dans une quiétude infinie. La neige met autour d'eux des gazes lamées d'argent qui s'épaisissent, s'ajoutent les unes aux autres, voiles successifs sans cesse renaissants, les isolant du monde. Elle s'abaisse-, dérouie à mesure son tapis merveilleux sur fequel ils sont portés et qui trace de sa blancheurderève leur voie triomphante. La voiture, doucement balancée, avanc® doucement entre ses roues étoilées. Le gardien de la paix, imrnoblie au bord du trottoir, les mains coulées au fond...

À propos

Fondé en 1884 par Aurélien Scholl et Valentin Simond, L’Écho de Paris était un grand quotidien catholique et conservateur. Il était sous la coupe financière du célèbre homme d'affaires Edmond Blanc, propriétaire notamment de plusieurs casinos et hôtels de luxe à Monte-Carlo.

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