Extrait du journal

Il y a les élites ; favorisez la forma tion des élites, leur prospérité, le bel épanouissement de leurs puissances vives : ne -sacrifiez pas - les élites à l'idée abstraite et fausse d'une Elite, et qui serait la seule, et qui n'aurait point de réalité, que politicienne, oratoire, en fin la réalité d'une erreur. C'est une re marque de Paul Bourget, dans une ré cente chronique de Y Illustration. Mais nos réformateurs ont le goût, la passion, la folie de l'unité. Ils viennent de lancer la formule de 1' « école uni que », ' C'est afin que l'enseignement soit le même pour tout le monde. Or, ils vous prennent à partie et vous de mandent s'il est juste que le fils d'un pauvre homme ne puisse-devenir un grand homme pour la raison qu'il n'au ra pas reçu, dès l'enfance, l'instruction que reçoit, au lycée, le fils d'un bour geois cossu. Le fils du bourgeois est —' on le suppose volontiers — un idiot : le fils du pauvre homme avait une grande aptitude au génie. Voilà du génie perdu et de la sottise vainement cultivée. Tout le monde à l'école primaire ! Et les meilleurs passeront à l'école secondaire ; ■l'Elite, à i'éeokt supérieure.-La-Vie re connaîtra les siens !... Cet arrangement n'est point absurde, en. principe. En fait, il est si peu ab surde qu'il ressemble à ce que nous voyons qui existe. Où a-t-on vu que les fils de bourgeois et de riches, nouveaux ou. anciens, aient le privilège de me ner les études à l'extrémité ? En Fran ce,? et lorsque vous savez très bien qu'avec le système des bourses, n'im porte quel enfant qui donne le signe d'une intelligence un peu fine et d'un es prit laborieux a toutes les facilités pos sibles * pour aller jusqu'aux diplômes les plus recherchés ! Je voudrais qu'une statistique nous fît connaître exactement, parmi les Français qui au jourd'hui sont illustres ou renommés, le nombre des boursiers de collège : on saurait s'il est vrai, l'on saurait qu'il sst faux, que le bienfait de l'enseigne ment, le luxe même des études soit ré servé à l'opulence. Ce n'est pas l'intention de rendre le savoir accessible aux moins riches, éventuellement, et aux plus pauvres, qui ne vaut rien : c'est, le projet d'unifier l'enseignement ; c'est aussi le projet de transformer le cours des études en un perpétuer triage et qui àfioutissê à l'isolement d'une élite seule et dédai gneuse du reste. Il y a, dans ce reste, ce qui doit constituer les élites, la di versité des élites. En négligeant ces élites et en les supprimant peu à peu, l'on exténuerait ce pays, cette nation qui a besoin d'être vivifiée tout entière. . Mais on part d'une spécieuse notion de l'égalité : je suis pauvre, je suis ton égal, j'ai le droit de savoir ce que tu sais, de faire ce que tu iais et de pré tendre aux mêmes supériorités qui me font envie. Parbleu, oui ! Seulement, le principe de l'égalité, entre tous ceux qui compor sent la nouvelle idéologie sociale, est l!un des plus malvenus et, pour ainsi dire, l'un des plus tourmentés. Il est séduisant : et il est plein de déceptions. Il a l'air doux, généreux, obligeant : il agit sans pitié. Voyez comme il tourne aux pires brutalités aristocratiques. C'est lui, le bienveillant priqcipe égalitaire^ qui, par de rudes éliminations, aboutirait à créer l'unique aristocratie de l'intellectualité, au mépris de tous autres mérites, au mépris des autres vertus et des métiers. Il est vaniteux et n'admet qu'une elite : les autres élites, et les plus valables, il ne les compte pour rien. Bourget cite ces lignes de Balzac, — préface générale de la Comédie ha» maine : — « Il a existé, il existera de tous temps des espèces sociales, comme il y a des espèces zoologiques. » Ce sont à présent les politiciens de l'égalité qui, faute d'avoir reconnu la diversité des espèces sociales, méconnaissent la di versité des élites, leur égalité résultant de leur diversité : ils établissent et consacrent l'insolente suprématie d'un très petit nombre. « Il y a,, réplique Bourget, des élites ; il y a une élite paysanne, une élite prolétarienne, com me il y a une élite bourgeoise. » Et il est, comique de voir les prétendus par tisans de la démocratie négliger les élites paysanne et prolétarienne ou proclamer la supériorité, le monopole, enfin l'éminente et enviable dignité de la seule élite bourgeoise. Il y a une élite paysanne, une élite prolétarienne : il y a une élite des mé tiers. Seulement, la hiérarchie des mé tiers, on.ne l'a jamais vénérée avec au tant de superstition rigoureuse que ne font nos prétendus démocrates.Le vieux proverbe qui disait qu'il n'y a point de sots métiers, mais de sottes gens, n'est plus à la mode. C'est dommage : il contenait " une part d'excellente vérité. S'il ne contenait pas_la vérité tout en tière, il faut avouer que la vérité n'est tout entière nulle part, ni dans un apho risme.- ni dans une formule bien rédi gée. C'est encore une jolie chose, de ÏK'ttre en quelques mots plus de vérité ,]uo d'erreur. Les sottes gens de tous les métiers sont des sots ; et tout homme qui sait parfaitement son métier, cet homme-là n'est point un sot, 'mais un maître en son genre. * On n'aime plus les métiers : voilà le malheur. Lps métiers manuels sont dé considérés. Qui les dénigre ? Les sa vants ? Les ouvriers ! Ce sont les gens de métier, qui n'estiment plus comme la meilleure-occupation de leur vie le soin d'être habile et d'accomplir un choSrd'œuvre. Le bel ouvrage, qui de mande beaucoup de zèle, de science et d'amour ça ne se fait plus. Eh ! parmi...