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L’Écho de Paris, 20 mars 1892

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L’Écho de Paris
20 mars 1892


Extrait du journal

Et c'est encore de sa faute si, quand tout me rappelle à Paris, les amitiés les plus touchantes et les devoirs les plus sa crés, je demeure ici lâchement, acoquiné comme un collégien après le cotillon bleu pailleté d'or de cette ensorceleuse Médi terranée? — Mais de qui parlez-vous ? — Parbleu ! du capitaine. Cet excellent homme, en qui bout je ne sais quel hé roïsme refoulé, se manifeste chaque jour par quelque invention nouvelle. Pas moyen de rester tranquille ni de s'ennuyer avec lui. Et, comme il est fin diplomate, toutes les fois ses inventions les plus sau grenues correspondent avec mon besoin de paresse ou l'un de mes secrets dé sirs. — Ainsi, me disait-il l'autre soir avec un accent d'affectueux reproche, vous cal culeriez de nous quitter ? — Il le faudra bien tôt ou tard. — Pas au moins, sacrebleu ! avant d'a voir vu la Corse. — Voir la Corse me plairait assez. Mais c'est une grosse affaire, huit jours au bas mot, et j'aime autant garder en réserve cette joie pour mqn prochain voyage. — Bon 1 vous voilà déjà effrayé pour rien. Qui diantre vous parle d'aller en Corse? On vous parle de la voir- simple ment et tranquillement, de la voir d'ici, sans bouger,pas plus tard que demain ma tin, histoire • d'étonner un peu les Pari siens et de dire à Emmanuel Arène, votre insulaire et spirituel cousin : — « Eh bien ! tu sais, ta Corse, ta fameuseCorse,je l'ai vue ! » Mon intellect s'illumina. C'est, en effet, une idée fixe parmi les populations de ces rivages de s'imaginer que, du haut de certains promontoires, au lever du jour, par certains temps clairs, une minute durant, on voit la Corse. Chaque ville, chaque village, possède son bout de rocher, le seulbon, d'où s'observe le phénomène. Et chaque matin, de Toulon à Nice, les mille échancrures de la côte apparaissent, pour l'observateur, grouillantes d'une in finité de points noirs qui. sont autant d'in génus touristes essayant, sur la foi des traités, d'apercevoir au moment précis la patrie du mouflon et de Bonaparte. Les savants ont beau protester et décla rer la chose impossible attendu que, notre planète étant une boule, les plus hauts sommets de l'île se trouvent au-dessous de la ligne de l'horizon, n'importe, on laisse protester les savants. Et bien souvent, jadis, pendant lesjours heureux d'enthousiasme et de jeunesse, il m'arriva,tout comme aux-autres, de bra ver le rhume et la mort en cherchant avec la bien-aimée, à travers le gigantesque rempart de brumes dont, sous prétexte de lever de soleil, se couvre la mer matinale, une Corse qui n'existait pas. Je m'étais bien juré de ne plus m'y laisser prendre : mais l'astuce de SaiotAygous a des ressources infinies. — Après tout, dit-il, me voyant hésiter, il ne s'agissait de la Corse qu'accidentel lement, ce n'est pas du tout le fond de l'affaire. Et si je vous proposais de nous trouver debout de si bonne heure, c'est que .nous devons dans la matinée tenter la traversée de Nice. Deux petites heures à la voile et le déjeuner de tradition sur la Conchita. Cotre de trois tonneaux, dont un de cognac vieux, ainsi que l'a définie un poète. La Con chita doit courir demain aux régates ; nous la conduisons à Nice pour la faire inscrire. Agréable occasion de prome nade 1 Pas le moindre danger d'ailleurs : Hallo et Vidal sont des nôtres, et tout le monde compte sur vous. Puis, comme j'avais l'air d'hésiter tou jours : — Dame, vous savez, il est temps de réfléchir encore. Le bleu froid du ciel, l'éclat inaccoutumé des étoiles présagent le mistral pour demain. Un joli vent avec lequel on ira droit, car nous l'aurons tout le temps en poupe. Seulement la baie des Anges sera secouée, et si vous craignez le mal de mer... L'injurieux et subtil tentateur, qu'il connaît bien les obscurs replis de l'âme humaine ! . — Le mal de mer? mais je né le crains pas du tout, lui répondis-je. Et j'acceptai, sans en avoir grande envie, pris au piège de ma vanité. Voilà pourquoi, de grand matin, l'autre samedi, je me trouvais en haut des rem parts du vieil Antibes, derrière l'église qui fut un temple de Diane, attendant que la Conchita fût armée, et considé rant, sans espérance, les apprêts d'un le ver de soleil sur l'eau. Le ciel était rose déjà; et les flots, cares sés du mistral promis, s'animaient d'un frisson d'aurore. Des brumes barraient l'horizon, mais peu à peu se dissipèrent; et là-bas, comme une vision, entre l'îlot de la Granille et la pointe extrême du Cap, sur la grande mer toujours libre, une silhouette se dressa, réelle, opaque, dessinée. — La Corse !... 'me dit Saint-Aygous. Cependant le soleil montait, soudain épandu sur les flots et, de ses rayons, écartant quelques dernières vapeurs flot tantes dont les haillons gris se changèrent en tentures de vermeil et d'or. Le cap, à droite, s'éclairait. A gauche, la neige des Alpes rougit; puis tout s'i nonda de lumière, et, dans l'universel éblouissement, la Corse brilla une seconde encore et disparut, laissant un souvenir de rêve. Saint-Aygous triomphait; je remerciai Saint-Aygous. Cependant des voix nous appelaient: la Conchita était parée. Nous prîmes place à bord de la Conchita. La lame du bord me sembla bien un peu grosse pour un aussi petit bateau, notam ment à moitié chemin, vers les parages ou le Var pousse en travers des flots qui...

À propos

Fondé en 1884 par Aurélien Scholl et Valentin Simond, L’Écho de Paris était un grand quotidien catholique et conservateur. Il était sous la coupe financière du célèbre homme d'affaires Edmond Blanc, propriétaire notamment de plusieurs casinos et hôtels de luxe à Monte-Carlo.

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