Extrait du journal

PIERRE ET JEAN De Pierre à Jean 20 avril. — Voilà, mon cher Jean, que les murs se bariolent d'affiches de tous les formats. Nous entrons dans la période électorale ; les candidats recopient leurs vieilles professions de foi ou celles de leurs prédécesseurs, à ce point qu'on pourrait fort bien, pour éviter une dépense inutile, adopter un système de publicité permettant de laisser les déclarations â demeure sur les murs ët de n'avoir à changer que le nom de l'amkitieux qui « brigue les suffrages des électeurs ». Serait-ce plus comique, en somme, que l'aventure de ce candidat auquel un comité, par hasard spiri tuel, conseillait de s'intituler : abstentionniste, et qui s'écriait avec coaviction : — « Oui, cela fera bien sur l'affiche ! » Je te prie de croire que je n'invente rien et que le nom du benêt est à ta disposition. L'étiquette, tout est là. Ronflante et creuse, comme une toupie de bazar, elle plaira toujours au troupeau électoral. Une chose bien amusante encore et qui mériterait une étude à part, ce sont les réunions des comités, leur importance bouffonne, leurs manoeuvres et leurs délibérations. Ce qui s'échange de niaiseries là-dedans est inimaginable ! Ah ! qu'on doit être fier de sa candidature quand on la voit soumise à l'agrément, au caprice d'un comité, à ses exigences de toute sorte, y compris cette menace de la dé mission en blanc suspendue sur les velléités d'in dépendance 1 . ... . Samedi dernier, précisément, me trouvant-dehors: à une heur» avancée de la soirée, j'ai assisté à une sortie de comité. Les discussions se prolon geaient sur le trottoir. L'un demandait « la parole pour une motion »; un autre * attestait sa fidélité aux principes démocratiques » ; un troisième, « ré publicain d'ancienne date », insistait pour qu'en * ramenât la question sur son véritable terrain » ; et tous rabâchaient des leçons apprises, des phra ses vides et des mots frelatés, qu'ils se repassaient à la régalade, dans le silence de la rue déserte, sous le beau ciel clair où clignotaient des étoiles ironiques. Et ce refrain revenait : « Le Comité... le Comité veut... le Comité entend que...le Comité ne tolérera pas... etc... » , Ah ! mon ami, quel Tyran que le Peuple quand il est Souverain ! Pierre....