Extrait du journal

HÉ oui, il faut aussi que je vous en parle. Quoique les circonstances cruelles que nous traversons Je relèguent au second plan, cet événement préoccupe, absorbe, hypnotise quiconque s'intéresse à notre littérature, c'est-à-dire la plupart des Français et quantité d'étrangers. On suit avec angoisse les ravages de l'inondation, on plaint les inondés, on voudrait leur venir en aide et, toutefois, on continue de penser à Chantecler. Si le fléau qui nous accable s'apaise et permet à la vie intellectuelle de reprendre son cours, à l'heure où ces lignes vous parviendront le rideau se lèvera ou sera à la veille de se lever sur ce fameux ouvrage. Nul ne l'a lu, ne sait s'il est mauvais ou bon, s'il doit tomber ou aller aux nues, et, déjà, deux cent mille francs de location d'avance sont encaissés par le théâtre. Les places de répétition générale et de première sont l'objet d'une poursuite effrénée; l'auteur reçoit des milliers de lettres suppliantes; d'avides reporters assiègent sa porte, quelques-uns arrivent de l'Extrême-Orient ou de l'Amérique du Sud, avec l'unique mission de rendre compte de la pièce miraculeuse, de la pièce-phénomène; le Times a chargé son correspondant de lui télégraphier, acte par acte, le résultat de la soirée. Jamais, depuis l'origine du monde civilisé, pareille chose ne s'était vue, pareil déchaînement de curiosité autour d'une production de l'esprit. Il y a, dans cette effervescence, une exagération de snobisme, une sorte d'extravagance, dont le poète est excédée Ceux qui l'approchent connaissent ses senti-...