Extrait du journal

Paul, seize ans ; Chariot, son frère, neuf ans Alice, leur amie, quinze ans ; la mère, quarante am.s. Un intérieur mo deste d'ouvriers ; la mère est absente. Paul, sa casquette sur la tête, lit un journal — Non, c’est épatant tout de même. Ah His ne l’ont pas, la trouille, hein.... . Alice, lisant par-dessus son épaule. — Tu vois, y avait une femme dans l’au to.... Paul. — On le croit. Alice. — On l’a vue à Chantilly... En a-t-elle une veine, hein I . Chariot. — Voilà une chic femme... Alice. — Sûr que c’est elle qui arme, les brownings, qui.... Paul. —Qui fait le guet. Alice. — Qui soigne les blessures... Paul. — Les blessures I Penses-tu qu’ils se fassent toucher... ■ Alice. — Ça c’est vrai... Mais, tout de même, on ne-sait jamais ce qui peut arriver..-. Une femme, avec cinq types comme ceux-là, quelle chouette exis tence... Une reine, quoi. Paul. — Qu’est-ce que tu aimerais le mieux, toi, Védrines ou Garnier ? Alice. — T’es bête ! Chariot. —Madame àime mieux Védrinas, peut-être ? Alice. — Un député, t’es fou 1... Les premiers temps, je ne dis 'pas, mais maintenant, un bourgeois... Non, c’est Garnier... Et puis, regarde-moi ces yeux. Chariot. — Je ne voudrais pas être un de la rousse, moi, devant ces yeuxlà ! Paul. — Ils ne vont pas s?y frotter, tu vois. . . Alice. —- Tu crois qu’ils vont réchap per ? Paul. — Si je le crois 1... Manquerait plus qûe ça... Et puis, non, j’aurais là, dans le cœur, quelque chose qui me préviendrait, tandis qu’au contraire, tu vois si je suis calme... Tiens, tâte... {Il lut met la main sur la poitrine.) Alice, appuyant la main très fort. — Dh ! il bat. Paul. — Oui, mais c’est régulier, c’est caîrhe... Je me suis entraîné,' d’ail leurs... Alice. — Tu t’es entraîné ? <. Paul. — Bien sûr... Alice, la main toujours sur la poi trine de Paul et avec complaisance. — Comment ça ? Paul. — Ça me regarde... (Eloignant brutalement Ip. main d'Alice.) Les fem mes, faut que ça serve,.mais on ne doit rien leur confier... Alice. — Oh ! t’en as une poigne... Chariot..— C’est pas du coton, hein I Alice, remettant sa main sur le cœur de Paul. — Recommence un peu, pour voir... [Il recommence avec plus de force.) Alice, ne pouvant retenir un çri de douleur. — Ah I Paul, froidement. — Ça fait du chichi et c’est pas capable de supporter une poignée de mains... Alice, le visage souriant de bonheur. — Moi, du chichi ?... Mais moi aussi je m’entraîne, je me cogne aux meubles, très fort, dans ma chafnbre, quand y fait noir, exprès, tu comprends ?... Chariot.— Ça habitue à ne pas crier... Paul. — Vrai, tu fais ça ? Alice. — Et autre chose encore... Je me dis qu’on vient arrêter celui que j’aime, qui serait avec moi. : Paul. — Qu’est-ce qtte tu fais ? Alice. — Je mords et je griffe, et je pince donc ! Paul, ses pâles yeux fixés sur elle. — Fais voir. Alice, le mordant au poignet et le pinçant, etc. — Tiens, tiens... Paul. — Pauvre gosse I... Alice. — Tu saignes ? Paul. — Une piqûre de mouche... Je te dis que je m’entraîne, moi aussi... Demande à Chariot. Chariot. — Moi aussi, je m’entraîne... On a lu tous les trucs dans les romans, les faits-divers. Alice..— Il est. épatant, ce p’tit-ià...\ Ah ! s’il avait seulement six ans de plus. Chariot. — Ton âge ? Paul. — Non, moi, j’ai seize ans... Si t’en avais quinze, je serais le chef... On connaît au moins vingt coups qu’on pourrait faire dans le quartier,, des coups épatants. Tiens, la crémière du 9 . Alice. — La vieille boiteuse ? Paul. — A six heures du soir, son fils est toujours sorti et elle a sur elle le pognon de la journée... Chariot. — Et le garçon de recettes qui passe tous les jeudis ?... Paul. — Oui, le long du terrain vague au bout de la rue... Ah ! si on voulait, ce que ça s’rait facile. Depuis huit jours, on l’a f....'ep bourgeois, mais tu penses si’ça trompe' bibi, hein ! Chariot. — Y a aussi les deux bour geois du cinquième qui touchent de la...