Extrait du journal

L'accord paraît fait unanimement entre les groupes « libéraux. » On va fabriquer un Sénat sur lequel MM. de Broglie et Gambetta s'entendent, chacun d'eux y trouvant ou croyant y trouver son compte. Les dernières barrières s'abaissent de tous les côtés ; le centre , droit et la gauche s'embras sent par-dessus le centre droit, dans une touchante effusion de constitua tionalisme. On veut en finir. Il n'y a plus d'objections, plus de diffi cultés. On a pris le parti de s'en tendre quand même, à l'aveugle. De rares opposants disent au centre droit: « Mais vous faites l'empire, avec votre projet de Sénat; » et à la gauche: « Prenez garde, vous allez ressusciter l'orléanisme. » Peu importe : il faut constituer! Le centre droit ne sait point s'il ne sert pas les intérêts du parti bonapartiste, ni la gauche si elle ne travaille pas au profit des princes d'Orléans. On ne discute plus, on ne réfléchit plus : on constitue. Sera-ce l'empire., sera-ce la monarchie de juil let? On le verra près. Nous assistons avec une curiosité triste au spectacle de cette Assemblée, prise tout à coup du vertige consti tuant. Inerte pendant quatre ans, re belle à toutes les raisons d'établir le seul gouvernement légitime et bon qui convint au pays, la voilà soudain dé vorée d'une ardeur irrésistible d'orga niser n'importe quoi. Que fait-elle? où va-t-elle ? Cette collectivité constituan te, autrefois- si temporisatrice, main tenant si pressée, ne se donne même pas le temps de l'apprendre. Elle jette avec elle le pays dans l'inconnu. Sous prétexte de sortir du provisoire et : d'organiser le présent, elle ouvre un avenir béant. Au .bout de ses pro jets, c'est le précipice. Sa prétendue constitution ne constitue rien que l'anarchie. Pour les républicains, elle est la république ; pour les orléanistes, la monarchie constitutionnelle ; pour les bonapartistes, l'empire. C'est une proie livrée aux partis. Tous, sauf le parti du^ droit, la votent au profit de leurs visées et de leurs ambitions per sonnelles. Us s'entendent précisément parce qu'elle leur donne à tous ce que chacun espère prendre ensuite pour lui seul. On n'a jamais vu pareille en tente dans une telle division. L'union de ces groupes ennemis réalise cette merveille parlementaire d'un accord qui est une conspiration. Le centre droit, en s'unissant à elle, conspire contre la gauche, qui conspire con tre lui, et tous deux conspirent contre le groupe de l'Appel au peuple, lequel conspire contre tous les autres réunis. De part et d'autre on s'accorde parce qu'on se redoute. L'Assemblée n'est plus hantée que de spectres. Il y a ie spectre du drapeau blanc, le spectre de la république, le 'spectre de 1 orléanisme, et par dessus tout le spectre de la dissolution, qui plane comme une menace de mort. Tous ces spectres qui se combattent, s'embrassent par peur l'un de l'autre, dans la nuit. La constitution qu'on va voter est faite de ces craintes réciproques. G'est une œu...