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Paris, 6 juin 1890

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Paris
6 juin 1890


Extrait du journal

Depuis quelques jours, les greffes des maisons centrales deviennent le théâtre des scènes les plus touchantes. On n’y voit que des gens qui se saluent, qui se félicitent mutuellement et qui échangent de cordiales poignées de main. Qui donc avait dit : Triste comme la porte d’une prison ? Vous voyez bien que derrière ces hautes murailles, où le silence est la règle de la maison, les hommes peuvent concevoir réciproquement les sentiments de la plus sincère estime. L’autre jour, à Avignon,c’étaient les gardes-chiourmes qui, le sourire aux lèvres et les mains tendues, pénétraient dans la cellule de Borras et le félicitaient chaudement pour sa belle conduite pendant trois ans de captivité imméritée. Et dire, cher mon sieur, qu’on a failli guillotiner un brave homme tel que vous 1 Vous risquiez de mourir méconnu. Laissez-nous vous ser rer les mains. Vous avez été admirable. Vous pouvez vous vanter de vous être fait des amis ici. A Clairvaux la scène a été encore plus touchante, puisque le condamné n’avait pas été victime d’une erreur judiciaire. Il s’agissait bel et bien d’un prisonnier pris en flagrant délit et convaincu d’a voir contrevenu aux lois. Le directeur de la prison a compris que ce serait insuffisant de lui faire pré senter des excuses par d’humbles gar diens : il les a faites lui-même : « Je suis content d’être débarrassé du souci et de la responsabilité que me donnaient le soin de votre santé, la surveillance de votre correspondance, des visites que vous receviez; mais je suis désolé de perdre un aussi aimable compagnon de captivité, car j’étais de mon côté, votre prisonnier. » Le duc d’Orléans, « demi-souriant », loi a répondu : Je vous remercie de tous vos procédés à mon égard, car je n'ai qu’à me louer de vous. Depuis Fontainebleau, l’histoire n’a pas fait mention de plus touchants adieux. Ces gardiens et ces prisonniers qui ne peuvent se quitter sans un déchi rement de cœur et sans s’être donné l’assurance d’une inaltérable affection en procédant aux formalités de la levée d’écrou, c’est bien un des spectacles les plus inattendus de cette fin de siècle. Je comprends qu’Emmanuel Arène, à qui on demandait son opinion sur la grâce du duc d’Orléans, ait répondu : « On l’avait donc mis en prison? » Le Sénat discute en ce moment un projet de loi pour adoucir les conditions des prisonniers en première peine. L’esti mable M. Bérenger en est encore à croire que la prison est une mauvaise école pour les débutants, qu’elle les ai grit, qu’elle dépose dans leur cœur des germes de haine. Voyez donc le duc d’Orléans; il est probable que le train Mtorel de sa vie ne l’aurait pas conduit...

À propos

Fondé en 1881 par Charles Laurent, Paris fut d'abord un quotidien gambettiste, avant de devenir tout simplement opportuniste. En 1888, le journal attaque avec violence le Crédit Foncier, lequel le rachète immédiatement dans le seul but de le faire taire. À la suite de quoi le directeur du journal démissionne, pour fonder Le Jour. Le nouveau directeur Raoul Cavinet, d'une moralité douteuse, sera impliqué dans les années qui suivent dans plusieurs affaires de chantage et de fraude. Il abandonnera son poste, et le titre avec lui, en 1895.

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