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Chronique

Orgies, saphisme et coups de feu : un divorce mouvementé à la Belle Epoque

Mari violent et volage, le dandy aristocrate M. de Molen tire sur un vieil homme dans la rue et plaide, pour sa défense, l’homosexualité de sa femme. Les journaux s’emparent immédiatement de ce sujet hautement croustillant.

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Emmanuelle Retaillaud

Ecrit par

Emmanuelle Retaillaud

Publié le

7 avril 2021

et modifié le 24 février 2025

Image de couverture

« Curiosités médico-artistiques », gravure de Lucien Nass, 1907 - source : WikiCommons

Mari violent et volage, le dandy aristocrate M. de Molen tire sur un vieil homme dans la rue et plaide, pour sa défense, l’homosexualité de sa femme. Les journaux s’emparent immédiatement de ce sujet hautement croustillant.

Il est environ 16h30, ce 5 novembre 1886, quand, dans une paisible rue de Dijon, un homme aux aguets sous une porte cochère se précipite vers une jeune femme qu’il voit sortir d’un cabinet d’avoué, en compagnie d’un homme plus âgé.

« M. de Molen avait tiré son revolver et ajustait sa femme, le canon braqué en plein visage.

Instinctivement, Mme de Molen se baisse, instinctivement aussi son grand père se place entre elle et le canon du revolver ; il lui fait un rempart de son corps. 

Deux coups de feu retentissent à une distance d’une ou deux secondes à peine, et le vieillard tombe ensanglanté. » 

Le « vieillard », M. Boissin, va survivre à ses blessures. Mais le mari homicide est immédiatement arrêté et doit comparaître à partir du 28 février 1887, devant la cour d’assises de la Côte d’Or. 

La presse locale et nationale se délecte de ce fait divers qui croise plusieurs dimensions « croustillantes » : au delà du scénario de « crime passionnel » dont elle aime à faire ses Unes, l’affaire de Molen s’inscrit en effet dans une problématique d’époque, le divorce, rétabli en 1884 par la loi Naquet, après sa suppression en 1816, sous la Restauration.

M. et Mme de Molen étaient en effet, depuis plus d’un an, en instance de divorce, l’épouse ayant demandé la séparation de corps deux ans à peine après son mariage en janvier 1884, et fait apposer des scellées sur le mobilier du château marital, pour préserver ce qui restait de sa dot. L’enjeu du procès est d’abord celui de la préméditation, mais aussi de la nature du différend conjugal, puisque le mari prétend avoir voulu punir sa femme qui « déshonorait son nom », tandis que celle-ci, à l’origine Mlle Chanteaud, fille d’un riche pharmacien, affirme que son époux lui a fait vivre une vie infernale, qui justifiait la séparation.

Le mari a toutefois mis au point pour sa défense un récit que la presse va complaisamment diffuser. Sa jeune épouse aurait eu des goûts « saphiques », qui l’ont rendue incapable d’assumer ses devoirs conjugaux :

« Le mari, aveuglé par une jalousie étrange, s’imagina que sa femme ne lui donnait point toute sa tendresse et qu’elle accordait à ses amies de pension des faveurs monstrueuses. 

Il la considérait comme une descendante – par la dépravation – de Mademoiselle de Maupin ou de Mademoiselle Giraud, ma femme. »

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On aura identifié les deux romans « lesbiens » les plus connus à l’époque, le premier de Théophile Gautier, publié en 1835, le second d’Adolphe Belot, en 1870. Ces références littéraires permettent d’éviter l’évocation trop directe des relations homosexuelles entre femmes, tout en donnant, aux allégations vagues du mari, une certaine épaisseur romanesque, sur laquelle ne craint pas de broder Le Figaro du 28 février :

« Ah, ce mariage ! En quelle langue honnête le raconter ! 

Le latin, qui se rit de toutes les pudeurs, ne saurait traduire les mystères de ce fallacieux hymen. Seules, les prêtresses de Lesbos, dans la pénombre mystérieuse des gynécées, eussent pu saluer de leur chant saphique cette lune de miel qui se levait à l’horizon. 

Au lendemain de la nuit nuptiale et longtemps après encore, et toujours, M. de Molen, s’il faut en croire ses aveux confus, avait le droit de présenter la nouvelle comtesse sous le nom pharmaceutique de ses parents : Mlle Chanteaud, ma femme. »

Ce jeu de mots douteux, assorti d’un évident mépris social – le père pharmacien a fait fortune avec les « granules Chanteaud » – ne tient pas longtemps la route : de tous les témoignages accumulés au fil de l’instruction et du procès, il ressort en effet que Molen était un viveur impénitent, criblé de dettes, qui battait son épouse et avait largement puisé dans sa dot pour donner de l’argent à une ancienne maîtresse.

Rejeton d’une vieille lignée aristocratique, il avait été un temps sous-préfet aux Andelys, avant de démissionner de sa fonction pour se présenter à la députation – mais sa candidature avait été rejetée pour moralité douteuse, et il fut même un temps soupçonné d’avoir trempé dans une autre affaire de meurtre, celle du préfet Barrème.

Comment trancher ? Les deux époux s’affrontent notamment sur un épisode crucial, qui se joue parole contre parole. Le lendemain du mariage, le couple se serait rendu dans une « maison galante » du centre de Paris, et selon la version du mari : 

« Sa femme l’emmena rue Lavoisier dans un entresol discret où elle se réunissait d’ordinaire avec des amies séduisantes et charmantes, et où les hommes n’étaient que tolérés […]

Alors il s’enfuit ! Il s’enferma dans son château de Turcey et passa les nuits étoilées sur sa terrasse féodale, rêvant à Mademoiselle de Maupin et songeant qu’à l’inverse des fabricants de romans historiques, M. Adolphe Belot a raconté des choses qui sont parfaitement arrivées. »

Tout autre son de cloche dans le témoignage de l’épouse, résumé en ces termes dans la plaidoirie de l’avocat, Me Nourrissat :

« Le lendemain de son mariage, M. de Molen, qui était dans un état d’esprit assurément malade, offre à sa femme de lui montrer une curiosité de Paris. La jeune femme accepte, ignorant où son mari la mène. 

On prend une voiture et on arrive rue Lavoisier devant une maison d’aspect ordinaire. Il était dix heures du soir, les époux entrent. Ils arrivent dans un salon. M. de Molen demande qu’on apporte du champagne et fait signe à un domestique. Quelques instants après, deux femmes apparaissent à peu près correctement vêtues. 

Alors, un rideau ayant été tiré, la malheureuse femme assista, terrifiée, à un spectacle que nous ne décrirons pas, par respect pour nos lecteurs. » 

En 1887, la loi, les mœurs et le Code civil penchent toujours en faveur de l’élément masculin – le droit au divorce lui-même demeure asymétrique. Mais à condition que le sexe « fort » tienne dignement son rôle. En l’espèce, les travers de M. de Molen étaient manifestement trop nombreux et trop bien avérés pour que la thèse du crime passionnel à l’encontre de l’épouse « dévoyée » puisse convaincre les jurés. 

Sans doute s’y ajoutait-il aussi un subtil règlement de compte social, en cette première phase encore instable du régime républicain, alors que s’affirmait la crise boulangiste : le comte de Molen avait choqué l’audience lorsqu’il fut établi qu’il avait traité sa belle-mère de parvenue et même de « poissarde », uniquement préoccupée d’acheter un titre à sa fille. La morgue aristocratique n’était plus de mise, et Molen fut reconnu coupable de tentative d’homicide sur sa femme avec préméditation, ainsi que d’une entière responsabilité pour les tirs de revolver sur le grand-père, le deuxième coup ne pouvant, de l’avis des experts, être fortuit. 

Il fut condamné à 10 ans de travaux forcés, avec tout de même des circonstances atténuantes, sans doute parce qu’il avait fait preuve de contrition pendant le procès, n’hésitant pas à interrompre son propre avocat pour lui demander de « ne plus parler de tout ça ».

Un mois plus tard, son pourvoi en cassation fut rejeté. Le 22 avril 1887, La Justice annonçait sèchement que le divorce avait enfin été prononcé en faveur de Mme de Molen car : 

« 1° M. de Molen s’est livré à des violences sur la personne de sa femme ; 

2° M. de Molen a été condamné à une peine infâmante ;

3° M.de Molen a articulé à l’encontre de sa femme des griefs dont il n’a pas fourni la preuve. »

–

Pour en savoir plus :

Francis Ronsin, Les Divorciaires. Affrontements politiques et conceptions du mariage dans la France du XIXe siècle, Paris, Aubier, 1992

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Emmanuelle Retaillaud est historienne, spécialiste de l'histoire de l'homosexualité et des « marges ». Elle enseigne à Sciences Po Lyon.

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Emmanuelle Retaillaud

Ecrit par

Emmanuelle Retaillaud

Emmanuelle Retaillaud est historienne, spécialiste de l'histoire de l'homosexualité et des « marges ». Elle enseigne à Sciences Po Lyon. Elle a notamment publié : Les Paradis perdus, drogues et usages de drogues dans la France de l'entre-deux-guerres (Presses universitaires de Rennes, 2009), Mireille Havet, l'enfant terrible (Grasset, 2008) et La Parisienne, histoire d'un mythe, du siècle des Lumières à nos jours (Le Seuil, 2020).

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