Chronique

Le Général rouge : la vie brisée du résistant allemand Edgar André

le 30/08/2023 par Constance Micalef Margain
le 30/08/2023 par Constance Micalef Margain - modifié le 30/08/2023

Figure communiste de première importance dans l’Allemagne de Weimar et condamné à la décapitation par le Troisième Reich, le « roi des chômeurs » Edgar André fut l’objet d’une immense campagne de soutien de la part de la gauche internationale. En vain.

Le 4 novembre 1936, celui que les nazis surnommaient le Général rouge, Edgar André, est décapité à la hache dans le camp de concentration de Fuhlsbüttel à Hambourg, devant ses camarades. Il était connu aussi sous le nom de « roi des chômeurs ». Auparavant, de nombreux journaux tentèrent d’alerter l’opinion publique et de le sauver dans un déferlement d’articles en sa faveur… en vain.

L’annonce de son procès, sa condamnation à mort, son exécution ont des répercussions internationales. Il reçoit des soutiens d’intellectuels, d’organismes syndicaux, de partis politiques du monde entier. Cette campagne de presse et de soutien a été orchestrée par le Parti communiste français et l’Internationale communiste.

Qui était Edgar André, cet homme ayant obtenu le respect des deux partis extrêmes de l’Entre-deux-guerres en Allemagne ? Le magazine communiste Regards évoque dans un article du 8 octobre 1936, un mois avant sa mort, sa vie de militant :

Edgar André naît en 1894 à Aix-La-Chapelle. Son père, d’origine juive, meurt de tuberculose pulmonaire. Edgar André est placé dans un orphelinat à Bruxelles où il demeure jusqu’à l’âge de 18 ans. De cette jeunesse entre deux pays, il acquiert la maîtrise du français et de l’allemand. Devenu ouvrier tourneur, il sert dans l’infanterie allemande. Après-guerre, il s’installe à Hambourg et y travaille comme docker.

Adhérent dès 1923 au KPD, il s’intéresse tout particulièrement à la question des chômeurs et est l’un des fondateurs de l’organisation des Combattants rouges – ou « Front rouge » – à Hambourg, organisation de combat contre les militants nazis. Dès 1926, il devient un permanent du KPD. Lors de la fondation du syndicat de l’Internationale des gens de la mer en 1930, il est nommé à sa direction et organise des grèves. Il est un syndicaliste engagé. C’est à ce titre que vont se mobiliser de nombreuses centrales syndicales pendant son procès. C’est aussi parce qu’il est un militant venu plusieurs fois en France et reconnu que ce procès fut suivi par l’avocat Joë Nordman, futur résistant et avocat du Parti communiste après-guerre.

Arrêté par les nazis le 5 mars 1933, il est enfermé dans une cellule spéciale du camp de concentration de Fuhlsbüttel. Enchaîné à une table, Edgar André est frappé des heures durant – il continuera de l’être des années durant. Dans le camp, il ne se déplace plus qu’en béquilles. Sa judéité ne fait qu’accroître la haine de ses tortionnaires. C’est ce que décrit sa femme Marthe Berg, dans La Correspondance internationale du 29 août 1936 :

Elle-même a été arrêtée et durement interrogée en mai 1936, lorsque commence les débuts des poursuites contre André, comme l’écrit le quotidien du PCF L'Humanité le 28 mai 1936 :

Elle réussit finalement à s’enfuir au Danemark, empêchée de rendre visite à son mari, d’où elle participe ainsi à sa défense. La campagne de presse organisée afin de sauver Edgar André d’une mort programmée aura dès lors des répercussions internationales.

La campagne de presse bat son plein lors des Jeux Olympiques de Berlin en août 1936. Les communistes soulignent le paradoxe de montrer l’Allemagne sous un jour éclatant lors de ces Jeux olympiques, et l’arrestation, les tortures d’un des leurs. Dans la publication communiste La Correspondance internationale du 25 juillet 1936, le président du Tribunal de Hambourg affirme :

« Le procès contre Edgar André a été, du point de vue de l'intérêt suscité à l'étranger, le plus important après le procès de l'incendie du Reichstag. »

Ainsi, Edgar André reçoit des soutiens de Belgique, Hollande, Suède, Norvège, de députés anglais, de membres du Sénat français, de nombreuses délégations de femmes dans le monde…

Le 26 juillet 1936, Henri Sellier alors ministre de la Santé publique, et Max Dormoy, sous-secrétaire d’État à la présidence du Conseil, envoient un télégramme à Hitler, et demandent à leurs collègues ministres de faire de même :

Un tract est diffusé à 100 000 exemplaires, signé entre autres du secrétaire général de la CGT Léon Jouhaux, du secrétaire du Parti communiste Jacques Duclos, du président de la Ligue française des droits de l’homme, Victor Basch. Il est distribué dans toute la France. Des anciens combattants se rassemblent et exigent sa grâce auprès d’Hitler comme preuve de sa volonté de paix… Il devient même citoyen d’honneur de la ville de Stains, dans l’actuel département de la Seine-Saint-Denis.

Edgar André reçoit d’autres soutiens. Ainsi, le célèbre auteur danois Martin Andersen Nexø, membre du Parti communiste danois, auteur de Pelle le Conquérant, prend fait et cause pour sa libération. Le journal régional d’orientation socialiste Der Republikaner publie de nombreux articles en faveur d’Edgar André. Il est même cité dans le journal franco-annamite Công luân bao. Enfin, différents journaux régionaux lui apportent leur soutien comme par exemple Le Petit Provençal, La France de Bordeaux et du Sud-Ouest ou Le Progrès de la Somme, La Tribune de l’Aube

Il est finalement condamné à mort le 10 juillet 1936. Il refuse de signer la demande de grâce pour obtenir l’atténuation de sa peine comme le relaye L’Humanité le 16 juillet 1936.

La CGT, la LICA (Ligue internationale contre l’antisémitisme, qui deviendra la LICRA), le Mouvement Paix et Liberté, le Secours populaire de France protestent contre son exécution. Peu après sa mort, l’écrivain Heinrich Mann, frère de Thomas en exil en France, s’insurge. Il souligne la brutalité du régime nazi, preuve de sa profonde impuissance politique.

Des délégués syndicaux, des membres d’organisation d’anciens combattants se retrouvent le 7 novembre, peu près son exécution, au cimetière du Père-Lachaise pour déposer une couronne en l’honneur du combattant. L’Humanité du 20 juin 1937 rapporte qu’un bataillon prend son nom pendant la guerre d’Espagne. Il s’agit de la XIe Brigade internationale, la Brigade Thälmann, composée d’Allemands et d’Autrichiens.

Le journal L’Humanité du 9 novembre 1936, trois jours après son exécution, relate la venue de la femme d’Edgar André, Martha Berg à Paris. Elle est sollicitée par le PCF lors d’un meeting de soutien à Ernst Thälmann, dirigeant du KPD et toujours emprisonné (il sera exécuté le 18 août 1944). Le Parti communiste français associe la cause des deux hommes :

La mémoire du combattant est rappelée par Paul Langevin, Marcel Cachin, Octave Rabaté et d’autres, le 14 novembre 1936 au Vélodrome d’Hiver. Martha Berg est présente, lors de ce meeting dédié au militant.

Cette manifestation est aussi une manifestation de l’amitié franco-allemande et donc pas seulement un rassemblement politique et antifasciste. Il y aura encore quelques échos de la presse à cette exécution. Dans le foyer des dockers de Marseille, on trouve un portrait d’Edgar André « dont le souvenir est si vivace au cœur de tous les marins et de tous les dockers du monde », écrit le journaliste de L’Humanité, le 31 juillet 1937. Mais par la suite, la mémoire antifasciste allemande communiste ne trouve que peu de relais dans les pays non affiliés à l’URSS.

La nuit précédant son exécution, Edgar André écrit à sa femme une lettre émouvante, que l’on peut consulter dans les archives fédérales de Berlin. Cette lettre lui enjoint de continuer à vivre et de refaire sa vie. Elle sera reproduite le 16 janvier 1937 dans La Correspondance Internationale :

En 2015, on pouvait encore trouver dans les archives allemandes, à côté de cette lettre, des pétales de roses séchées.