Écho de presse

1919 : L'assassin de Jaurès acquitté

le 02/04/2021 par Marina Bellot
le 03/09/2020 par Marina Bellot - modifié le 02/04/2021
Le 29 mars 1919, Raoul Villain est acquitté par la justice française dans un climat d'intense patriotisme. 

Au lendemain de l’assassinat de Jean Jaurès, le 1er août 1914, le président du Conseil René Viviani déclarait solennellement : « L’assassin est arrêté, il sera châtié. » L'assassin se nomme Raoul Villain. Originaire de Reims, il monte à Paris en 1910 et devient militant au Sillon, le mouvement catholique de Marc Sangnier, avant d'adhérer à la Ligue des jeunes amis de l’Alsace-Lorraine. Fervent nationaliste, il veut laisser son nom dans l'histoire. Jaurès le pacifiste est à ses yeux l'incarnation de l'« ennemi intérieur ». Le soir du 31 juillet 1914, alors qu’il dîne au café du Croissant avec un groupe d’amis et de collaborateurs de L’Humanité, Raoul Villain fait feu sur lui et l’assassine.

Incarcéré à la prison de la Santé, Villain ne sera jugé qu’après la guerre.

« Inadmissible » pour L’Humanité :

« Que les nécessités de la défense nationale et du vieux mythe en toc de l'union sacrée aient fait de Raoul Villain le recordman incontesté de nos sursitaires d'appel, c'est déjà fort. Mais qu'elles aient eu pour résultat supplémentaire d'étriquer misérablement l'enquête judiciaire, cela, nous ne l'admettons pas. »

Quand s'ouvre le procès en mars 1919, la guerre est gagnée et le climat est au patriotisme. Les audiences qui se déroulent du 24 au 29 mars ne laissent aucun doute sur l'esprit de clémence qui préside au procès. Les avocats de Villain, dont le grand pénaliste Henri Géraud, mettent en avant sa démence et plaident l’acte d’un homme isolé.

L'Écho de Paris décrit :

« Villain n'est point un révolté ; ce n'est point un exubérant, un bavard. C'est tout le contraire. Représentez-vous un garçon assez grand, assez bien pris, d'allures un peu mieux que correctes, presque élégantes. ll est convenablement vêtu d'un complet gris très sombre. »

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 Le Matin rapporte les échanges entre l'accusé et le président de la cour :

« La journée du 31, Villain la passa chez lui, couché jusqu'à quatre heures de l'après-midi. Il dîna « mieux et plus cher » qu'à l'ordinaire. Vers 21 heures, il arrivait rue Montmartre, devant L'Humanité. Que se passa-t-il alors ?
R. Eh bien, je me suis promené. J'ai eu l'idée de m'en aller. Puis j'ai pensé aux articles de
L'Humanité. Alors, par une impulsion momentanée, irrésistible, j'ai écarté le rideau et j'ai tiré, ne pensant pas que M. Jaurès avait une femme et des enfants.
D. Dans ce que vous venez de dire de la famille de M. Jaurès, je trouve la première expression de regret qui vous soit échappée depuis quatre ans et demi.
R. Je ne puis pas nier que cet homme m'a semblé un vrai danger pour la patrie.
D. Voyons, vous êtes un patriote, Villain, et vous n'avez pas pensé que votre acte pouvait déchaîner de terribles luttes de partis en France.
R. Je n'ai pensé qu'à la patrie. »

L'acquittement est accueilli sans surprise.

Dans Le Gaulois, on peut lire :

« Me Henri Géraud ensuite plaide la pitié pour l'être débile dont seul l'amour de la patrie arma le bras. Hélas la place nous manque pour dire ce que fut cette admirable plaidoirie, toute vibrante d'émotion et qui, dans la salle haletante, faisait passer de longs frissons et dans les yeux monter des larmes. […]
Et voici Villain debout.
D'une voix dont la force surprend, il déclare
 :
Je demande pardon à la victime et grâce pour mon père et mon frère. La douleur d'une veuve et d'une orpheline ne laisseront plus place au bonheur dans ma vie.
Ce sont les derniers mots.
Un quart d'heure après, Villain est acquitté. Mme Jaurès obtient le franc de dommages-intérêts demandé et les dépens comme supplément. »

Au lendemain du verdict, L'Humanité se fait l'écho de "l'émotion dans les milieux ouvriers". Et rappelle cet avertissement de Jaurès :

« Si la patrie ne périssait pas dans la défaite, la liberté pourrait périr dans la victoire. »