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Les braquages spectaculaires de la bande à Bonnot

le par - modifié le 05/08/2020
le par - modifié le 05/08/2020

Adeptes de la reprise individuelle, Jules Bonnot et ses complices vont multiplier les braquages spectaculaires à bord de voitures volées. Au début de l’année 1912, toutes les polices de France sont à leurs trousses.

Le 21 décembre 1911, l’attaque d’un garçon payeur de la Société Générale par une bande qui s’enfuit en automobile laisse badauds et journalistes pantois. Le braquage occupe les Unes des journaux parfois sur six colonnes entières.

« Un attentat qui dénote de la part de ses auteurs une audace inouïe a été commis hier matin à Montmartre.

À neuf heures, c'est-à-dire en plein jour, rue Ordener, un garçon payeur de la Société générale, M. Ernest Gaby, âgé de quarante ans, demeurant 42 rue Rambuteau, a été attaqué, blessé à coups de revolver et dévalisé par quatre bandits qui, leur coup fait, se sont enfuis en automobile. »

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L’attaque en plein jour, l’emploi de revolver et surtout l’utilisation d’une automobile pour s’enfuir font de ce braquage une première dans l’histoire criminelle en France. La bande s’est en effet servi d’un moyen de locomotion moderne alors que la police se déplace encore à vélo ou à cheval. Le véhicule devient un élément important de l’enquête.

Le « groom » de la banque témoigne.

« Depuis mon arrivée jusqu'à l’ouverture des bureaux, j'ai vu constamment une voiture automobile arrêtée le long du trottoir, devant la maison portant le numéro 148 de la rue Ordener. L'avant de la voiture était tourné vers la rue Damrémont. C'était une automobile de luxe, toute noire, assez longue, plus longue que les taxis automobiles.

Sur le siège, se trouvaient deux hommes. Celui qui tenait le volant de la machine avait une casquette noire avec une chaînette blanche et des boutons jaunes ; il était vêtu d'un dolman noir. L'homme qui était à côté de lui était vêtu d’un manteau, coiffé d'une casquette sombre et avait une moustache noire.

En même temps, un troisième homme, que je n'avais pas encore vu, montait à l'intérieur de la voiture, refermait la portière et, par la vitre, tirait des coups de revolver sur toutes les personnes qui s’approchaient. »

Il en est sûr, et d’autres témoins corroborent ses affirmations, l’automobile est immatriculée 660 X. S’ensuit alors une recherche du véhicule, une « limousine Delaunay-Belleville, 10-14 IIP, modèle 1910, peinture vert foncé, à grandes rayures noires » volée quelques jours plus tôt à Boulogne-sur-Seine. Elle est retrouvée sur la plage de Dieppe, en Normandie.

Les recherches s’étendent sur tout le territoire – et même à l’étranger. On aperçoit ceux que l’on nomme alors les « bandits en automobile » partout.

Jules Bonnot avec sa femme et son jeune fils, 1906 - source : WikiCommons

« On a déjà émis l'hypothèse aux premiers jours des recherches que des bandits pourraient bien se trouver en Belgique ou en Hollande.

On annonce aujourd’hui que la police d’Amsterdam est persuadée que des voleurs se trouvent actuellement dans cette ville, soit qu'ils s’y soient rendus il y a seulement quelques jours, soit qu’étant allés au Havre, après avoir quitté Dieppe, ils y aient pris le bateau. »

On recherche également le chauffeur, que le groom et les témoins sur place ont eu plus le temps d’identifier que les autres malfrats.

« L’un d'eux, âgé d'une trentaine d'années, un chauffeur, était appelé par ses camarades “Jean”. Il portait beau et avait une certaine allure.

Son signalement était caractéristique, grand, les moustaches blond-roux et droites, et le nez fortement busqué. Il habitait jadis dans les parages de l'avenue de Clichy. »

En fait, « Jean » s’appelle Jules Bonnot. Avec Octave Garnier et Raymond Callemin, dit « Raymond la science », l’anarchiste illégaliste vient de signer le braquage le plus retentissant de ce début de XXe siècle.

Malgré la chasse à l’homme, Bonnot et sa bande continuent leurs coups. Même si ceux-ci ne réussissent pas toujours : le 31 décembre, ils tuent un veilleur de nuit en essayant de voler une voiture ; le 27 février 1912, la bande s’empare d’une Delauney-Belleville mais conduit si dangereusement dans Paris qu’elle heurte un bus. Octave Garnier tue l’agent de la circulation qui tentait de les arrêter.

Enfin, le 25 mars, ils repèrent une limousine De Dion-Bouton.

Signalement de Jules Bonnot envoyé à toutes les polices de France, 1912 - source : WikiCommons

« Hier matin, à huit heures moins le quart, presque à l'endroit où fut assassiné le courrier de Lyon, à l'entrée de la forêt de Sénart, cinq hommes arrêtent une auto, tuent le chauffeur, blessent son compagnon, s'emparent de la voiture et disparaissent.

À dix heures et demie, ayant franchi 60 kilomètres, ils sont à Chantilly. La voiture s'arrête devant la succursale de la Société générale.

Second attentat – Quatre bandits entrent, tuent deux employés, en blessent grièvement un troisième, emportent l'argent de la caisse, et la bande repart. […]

Après, c'est une poursuite sur la route, jusqu'à Asnières, où à 11 h 25. Les bandits, poursuivis, traqués, surpris par une panne de moteur, abandonnent leur voiture et disparaissent le long du talus de la voie ferrée. »

Les braquages et les meurtres ont déclenché de vastes coups de filets dans les milieux anarchistes.

Le 30 mars 1912, le juge d’instruction inculpe treize personnes pour avoir « commis des crimes et attentats soit comme auteurs, soit comme complices, sur le territoire français, d'avoir été affiliés une bande organisée en vue de commettre des crimes ou attentats d'avoir fourni les moyens pour les accomplir, ou d'avoir organisé des réunions en vue de leur exécution ». Parmi eux : Jules Bonnot, Octave Garnier, Edouard Carouy dit « Leblanc » (en cavale) mais aussi Eugène Dieudonné, totalement innocent des faits reprochés et qui fera quand même 15 ans de bagne avant d’être réhabilité [lire notre article].

Carouy est arrêté le 4 avril, Callemin trois jours plus tard. Bonnot est toujours en fuite. Son dernier coup d’éclat se joue le 24 avril à Ivry-sur-Seine. Louis-François Jouin, sous-chef à la Sûreté nationale, perquisitionne le domicile d’un sympathisant anarchiste où Bonnot s’est caché.

Celui-ci tire sur Jouin et son adjoint.

« Bonnot et Garnier, les redoutables bandits à qui l'on impute, à juste titre certainement, les crimes de la rue Ordener, de la place du Havre, de Montgeron et de Chantilly, avaient promis de vendre chèrement leur liberté et juré d'allonger encore la liste de leurs victimes. Le premier a tenu parole.

M. Jouin, chef adjoint de la sûreté, est tombé hier sous le revolver du terrible chauffeur et il s'en est fallu de peu que l'inspecteur principal Colmar ne payât aussi son zèle de sa vie.

Il gît pourtant, grièvement blessé, sur un lit d'hôpital. »

D’Ivry-sur-Seine à Choisy-le-Roi, il n’y a que quelques kilomètres. Jules Bonnot va trouver refuge chez un camarade garagiste, Jean Dubois, où la police le surprend le 27 avril.

Le siège de la maison où il se retranche va durer de longues heures, ponctuées de coups de feu et d’explosions, jusqu’à la mort du plus célèbre anarchiste de France [lire notre article].