Le 12 juillet 1789, lorsque le messager du commandant de Paris arrive à l’Assemblée nationale réunie à Versailles, il n’a que des nouvelles effrayantes à annoncer :
« Toutes les barrières du côté du Nord ont été saccagées. Celle du Trône (Nation) est en feu. Les armuriers ont été pillés, et chacun prend la cocarde verte.
Paris va être en feu dans un instant. »
(Le Moniteur Universel, 13 juillet 1789).
Écrasé par la Prise de la Bastille et le 14 juillet, l’événement est peu connu. Il est pourtant essentiel pour comprendre comment et pourquoi le peuple entre en masse dans la Révolution.
Pendant plus d’une semaine, du 9 au 17 juillet, une quarantaine de barrières sur 54 sont attaquées, saccagées et incendiées. Ces cibles ne sont pas choisies au hasard. Elles font partie du nouveau mur qui est en passe d’enfermer les Parisiens dans leur propre ville : le mur des Fermiers généraux.
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Commencé en 1785, il est presque terminé lorsque commence la Révolution. Entourant la ville de son interminable ligne de 24 kilomètres, ce mur de pierre haut de trois mètres a nécessité des travaux très longs et coûteux, alors que les caisses de l’État sont vides et que la misère est omniprésente.
Imaginés par l’architecte Ledoux, ses bâtiments gigantesques, modernes et fastueux provoquent les critiques. La colère vient surtout des habitants des faubourgs : si ce mur a été construit à grands renforts de fonds publics, c’est pour mieux percevoir les taxes sur les marchandises qui arrivent dans Paris. Le roi espère aussi empêcher la fraude sur les vins, qui fait perdre beaucoup d’argent au Trésor public.
Pour les classes populaires parisiennes comme pour les marchands, la chose est entendue : ce mur est responsable de la cherté des prix de première nécessité. Ces taxes sont donc injustes.
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Dans les mois qui précèdent la Révolution, plusieurs tentatives de passages en force ont lieu, occasionnant des accrochages avec les gardes. Les troupes du régiment Royal-Allemand sont même mobilisées pour repousser les contrebandiers. Exposé depuis plusieurs mois à la vindicte populaire, c’est ce même régiment commandé par le duc de Lambesc qui, le 12 juillet, commet l’irréparable : il charge et tire sur la foule manifestant contre le renvoi du ministre Necker.
Les journaux s’inquiètent : les barrières ne sont pas les seules visées.
« La nuit, le peuple s’est porté en partie du côté de la barrière Blanche qu’il a brûlée. La maison de Saint-Lazare a été enfoncée.
On espérait y trouver des grains et l’espérance n’a pas été déçue. Une grande quantité de farine et de blé a été transportée à la Halle. »
(Le Courrier de Versailles à Paris et de Paris à Versailles, 15 juillet 1789).
Ces actions sont conjointes et liées par un même but. Les uns après les autres, les entrepôts de blé sont visités. Les réserves sont confisquées et revendues à un juste prix à la Halle aux grains : le pain est vu comme un bien commun, qui doit être vendu à des prix raisonnables. Comme en Amérique plus d’une dizaine d’années auparavant, les insurgés se révoltent contre les taxes injustes et brisent leurs symboles. Affirmant représenter « le tiers état », les Parisiennes et les Parisiens des faubourgs prennent les barrières comme d’autres, au même moment, prennent la Bastille.
Les questions économiques du quotidien forment ainsi le premier combat politique du peuple français en révolution. Non que les futurs Sans-culottes s’engagent dans la Révolution parce qu’ils n’aiment pas l’impôt. C’est la fiscalité injuste qu’ils attaquent, celle qui pèse sur les plus pauvres : pas étonnant que la destruction des barrières, à laquelle la rotonde de la Villette ou les colonnes du Trône (place de la Nation) ont échappé, ait été vécue comme une prise de souveraineté.
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Pour en savoir plus :
Momcilo Markovic, « La Révolution aux barrières : l’incendie des barrières de l’octroi à Paris en juillet 1789 », in: Annales historiques de la Révolution française [En ligne], no 372, avril-juin 2013
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Guillaume Mazeau est maître de conférences en histoire à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il est également commissaire d'expositions et conseiller historique pour le théâtre et la télévision.
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Maître de conférences en histoire à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il est également commissaire d'expositions et conseiller historique pour le théâtre et la télévision.