Chronique

Wilhelm Pieck, un président pour la RDA

le 08/11/2019 par Paul Maurice
le 14/10/2019 par Paul Maurice - modifié le 08/11/2019
Élection de Wilhelm Pieck (à gauche) à la présidence de la RDA le 11 octobre 1949, en présence d’Otto Grotewohl (à droite), président du Conseil des ministres - source : WikiCommons
Élection de Wilhelm Pieck (à gauche) à la présidence de la RDA le 11 octobre 1949, en présence d’Otto Grotewohl (à droite), président du Conseil des ministres - source : WikiCommons

Le 11 octobre 1949, quatre jours après la création de la RDA, le communiste Wilhelm Pieck (1876-1960) est élu à la présidence du nouvel État communiste est-allemand. La presse d’opinion française diverge quant à l’accueil qu’elle réserve à cette élection.

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Le journal d’orientation démocrate chrétienne L’Aube décrit le 12 octobre 1949 cette élection comme une mascarade démocratique :

« C’est, en effet, M. Wilhelm Pieck, vétéran communiste âgé de 73 ans et co-président du parti socialiste-communiste unifié, qui a été élu hier à l’unanimité président de l’Allemagne orientale.

Son élection par les membres des deux chambres du “Parlement” oriental proclamé récemment, a eu lieu dans l’immeuble qui abritait autrefois le ministère de Goering dans le centre de Berlin. »

En effet, selon l’article 101 de la Constitution de la République démocratique allemande, adoptée le 7 octobre 1949, le président de la RDA devait être élu par une session commune de la Chambre du peuple (Volkskammer) et de l’Assemblée des Länder (Länderkammer) pour une durée de quatre ans.

Le quotidien démocrate-chrétien émet des doutes sur le rôle de ce « Parlement », car la Chambre du peuple provisoire constituée le 7 octobre 1949, n’a pas été élue et les élections ne sont prévues que pour le 15 octobre 1950. De plus, l’article insiste sur le fait que le « Parlement » siège dans le bâtiment berlinois de l’ancien « Ministère de l’Aviation du Reich » du nazi Hermann Göring, y voyant un signe prémonitoire de l’évolution dictatoriale du régime.

Au contraire, L’Humanité du 12 octobre accueille avec enthousiasme cette élection et insiste sur son caractère démocratique :

« Dans un enthousiasme indescriptible, Wilhelm Pieck a été élu hier président de la République démocratique allemande.

Lorsque M. Otto Nuschke, président de l’Union chrétienne démocrate a prononcé le nom du vieux vétéran du mouvement ouvrier, le proposant au poste de président de la République, tous les délégués debout ont manifesté leur approbation et la nomination a eu lieu par acclamation.

Wilhelm Pieck est alors monté à la tribune tandis que la salle entière se levait, et il a été investi officiellement par le président de la chambre populaire. »

L’organe communiste insiste sur le multipartisme de la RDA en évoquant Otto Nuschke, dirigeant démocrate-chrétien (CDU) et le rôle du président de la Chambre du peuple, le libéral-démocrate (LDPD) Johannes Dieckmann.

Ces acteurs non-communistes de l’élection sont également évoqués dans L’Aube, mais c’est avec une certaine amertume. L’article semble regretter l’absence d’opposition de la part des partis non-communistes en RDA :

« C’est Otto Nuschke, président de l’Union chrétienne démocrate de la zone soviétique, qui a proposé la désignation de M. Pieck, une forêt de mains se sont levées lorsqu’il a demandé aux délégués d’approuver sa nomination. Certains “parlementaires” agitaient des bouquets et criaient leur approbation.

La salle entière à [sic] crépité d’applaudissements lorsque le nouveau président s’est levé, souriant aux photographes qui l’entouraient.

Il est alors monté à la tribune pour être investi officiellement par le président de la chambre basse, Johannes Dieckmann. »

Wilhelm Pieck lui-même est, de manière significative, présenté différemment dans les deux journaux. L’Aube insiste sur « la carrière de M. Wilhelm Pieck » comme celle d’un ouvrier devenu apparatchik communiste, pur produit du système soviétique :

« Pendant la guerre de 1914-1918 il fit parti du groupe “Spartakus” et peu après devint membre du comité central du parti communiste de Berlin, puis président du parti communiste.

En 1921, il fut élu membre du Landtag de Prusse et en 1928 membre du Reichstag. Il le reste jusqu’en 1933 à l’avènement de Hitler. Il se retira alors en U.R.S.S. tout en gardant la présidence du comité central du parti communiste allemand, jusqu’en 1946.

En 1943 il était devenu membre du comité du mouvement de l’Allemagne libre.

En 1946 M. Wilhelm Pieck fut l’un des fondateurs du parti socialiste communiste (S.E.D.), il en fut vice-président, puis président.

Président du congrès du peuple allemand, il était depuis le 5 octobre 1949 membre du Præsidium du conseil du peuple de la zone soviétique. »

L’Humanité, en revanche, retrace le parcours d’un « vétéran du mouvement ouvrier allemand auquel il a voué un demi-siècle de sa vie ». Wilhelm Pieck est présenté comme un héros issu du prolétariat qui a été un militant communiste de la première heure aux côtés des martyrs de 1919 et un antifasciste victime de la répression nazie :

« Ouvrier ébéniste, il adhère à 18 ans à son syndicat et l’année suivante au Parti social-démocrate.

Dès lors, toute sa vie sera consacrée à la lutte contre la réaction et, à l’intérieur du Pari, contre l’opportunisme. Compagnon de Karl Liebknecht, Rosa Luxembourg et Clara Zetkin, il s’élève en 1914 contre le vote des crédits militaire et se dresse contre la guerre impérialiste.

Membre du groupe de "Spartacus" qui devint le Parti Communiste Allemand, Wilhelm Pieck est depuis la fondation de celui-ci, en 1918, membre du Comité Central. En janvier 1919, il n’échappe que par miracle aux bandits qui assassinèrent sauvagement Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg.

Depuis, Wilhelm Pieck a été sur la brèche inlassablement, luttant pour l’unité de la classe ouvrière contre le fascisme. Après l’assassinat d’Ernst Thaelman [sic.] par les hitlériens, Pieck est appelé à la direction du Parti Communiste Allemand.

Pendant la guerre, Wilhelm Pieck a consacré ses forces au “Comité de l’Allemagne libre” et est rentré en Allemagne après la victoire l’Armée soviétique.

Il est actuellement, avec Otto Grotewohl, coprésident du Parti socialiste unitaire, qui a réuni en 1946 le Parti communiste et les forces progressistes de l’ancien Parti social-démocrate. »

Cette opposition idéologique dans la presse française ne se limite pas à la seule élection de Wilhelm Pieck à la présidence de la RDA, mais porte également sur la légitimité même de cet État. L’Humanité insiste par exemple typographiquement dans son titre sur le fait que « Wilhelm Pieck est élu président de la RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE D’ALLEMAGNE ».

Au contraire L’Aube semble remettre remettre en cause l’indépendance de la RDA et de son nouveau Président :

« M. WILHELM PIECK qui n’est pas général de la Wehrmacht mais colonel de l’armée rouge devient président de la prétendue République démocratique allemande que la Presse de Berlin a baptisée Pieckistan. »

L’Aube se fait ici l’écho de la presse anti-communiste ouest-allemande contrôlée par les Alliés, pleine d’ironie quant à l’élection de Pieck :

« Le journal berlinois Der Kurier paraissant sous licence française a baptisé aujourd’hui “Pieckistan” le nouvel État de l’Allemagne orientale.

Der Abend, sous licence américaine, nomme son président “Guillaume III”. »

Les plaisanteries sur son prénom « Wilhelm » (Guillaume) ont pour but de l’assimiler au très peu démocratique dernier empereur d’Allemagne (1888-1918) Guillaume II, et à une supposée tradition autoritaire de l’Allemagne. Bien plus encore, l’association de son nom de famille à la terminologie du toponyme d’un pays d’Asie centrale vise à dénoncer à la fois le pouvoir personnel stalinien et la satellisation de la RDA comme République soviétique.

La collusion avec l’Union soviétique est d’ailleurs le principal reproche qui est fait à Wilhelm Pieck dans L’Aube :

« À défaut d’un ex-général de l’armée allemande, c’est un colonel de l’armée rouge qui jouera désormais en Allemagne orientale les Hindenburg.

Il sera plus docile qu’un Seydlitz ou un Paulus. L’état-major des troupes russes d’occupation pourra évacuer Berlin sûr d’y laisser un valet prêt à répondre à tous les coups de téléphone. »

Le journaliste insiste sur le fait que Pieck, « vétéran communiste », sera plus fidèle à Moscou que les deux généraux de la Wehrmacht, Walther von Seydlitz-Kurzbach et Friedrich Paulus, même si ceux-ci, faits prisonniers après la bataille de Stalingrad, ont collaboré avec l’URSS à partir de 1943 pour créer l’armée de libération antinazie.

L’Aube met en avant le rôle essentiel de l’Union soviétique dans l’adoubement de Wilhelm Pieck lors de son élection à la présidence :

« Les talents prophétiques de l’ambassadeur soviétique Smionov ont été beaucoup appréciés. Il assistait à la séance.

Une bonne demi-heure avant l’élection de M. Pieck, il est allé le féliciter chaleureusement. »

Timbre est-allemand à l'effigie de Wilhelm Pieck - source : WikiCommons
Timbre est-allemand à l'effigie de Wilhelm Pieck - source : WikiCommons

L’interprétation du rôle de l’Union soviétique est toute différente dans L’Humanité. En effet, pour l’organe communiste l’élection du président de la RDA est le symbole de la souveraineté retrouvée de l’Allemagne et une étape vers la réunification démocratique du pays :

« L’administration militaire soviétique est supprimée, Une commission contrôlera l’application des accords de Potsdam. […]

Il a ensuite prêté serment sous la formule suivante : “Je jure de consacrer toutes mes forces au bonheur du peuple allemand. Je protégerai la Constitution et les lois de la République. Je ferai tout pour poursuivre la lutte pour l’unité de l’Allemagne…” 

Dans son allocution, Wilhelm Pieck a promis de mettre tout en œuvre pour promouvoir la reconstruction pacifique de l’Allemagne sur une base démocratique. »

Le caractère démocratique de cette élection se traduit pour L’Humanité par une ferveur populaire :

« Des centaines de milliers de Berlinois acclament Wilhelm Pieck.

À l’issue de la cérémonie de son élection, Wilhelm Pieck s’est rendu à Unter den Linden où il a pris la parole devant plusieurs centaines de milliers de Berlinois enthousiastes. »

Pour L’Aube, ces festivités relèvent de la propagande et ont le caractère ridicule et exagéré d’un « carnaval » mis en scène par le régime :

« Dehors, la rue avait pris un air de carnaval, depuis plusieurs heures déjà, des colonnes joyeuses convergeaient de tous les points de Berlin Est vers le quartier de Unter den Linden, portant des drapeaux et des bannières rouges et blanches.

Parmi eux se trouvaient des fermiers des régions rurales d’Allemagne orientales sur des charrettes et des tracteurs décorés de fleurs. »

L’élection de Wilhelm Pieck à la tête de la RDA n’eut cependant pas les conséquences – négatives ou positives – que lui prédisaient les journaux français.

En effet, bien que réélu à la présidence jusqu’à sa mort le 7 septembre 1960, Wilhelm Pieck n’eut qu’un rôle politique marginal en RDA et son pouvoir fut bien moindre que celui du secrétaire général du comité central du SED, Walter Ulbricht.

Cependant la figure de Wilhelm Pieck représentait alors l’unité du mouvement ouvrier et sa réconciliation après des années d’opposition. Vétéran du mouvement spartakiste, il fut l’un de ceux qui permirent la réunification du mouvement ouvrier allemand, entre « réformistes » et « révolutionnaires » au sein du SED.

Même si cette unité fut contrainte dans la zone d’occupation soviétique, elle représentait un espoir pour une large part des sympathisants du mouvement ouvrier, qui pouvait ainsi dépasser ses divergences passées pour réaliser un « État ouvrier-paysan » en Allemagne. Wilhelm Pieck incarna donc pour de nombreux Allemands de l’Est une figure paternelle et protectrice, d’autant plus qu’il fut le seul président de la RDA.

Après sa mort en 1960, une réforme constitutionnelle supprima le poste de président de la République. La fonction de Chef d’État fut désormais assumée par un Conseil d’État composé de 17 membres et présidé par Walter Ulbricht.

Paul Maurice est chargé d'enseignement à l'Université Paris-Est Créteil, doctorant en histoire contemporaine en cotutelle entre Sorbonne Université et l'Université de la Sarre, rattaché à l'UMR SIRICE. Ses travaux de recherche portent sur les élites intellectuelles en République démocratique allemande.