Chronique

1936 : à la rencontre de la « vraie France qui vote »

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Intérieur d'un bureau de vote lors des élections législatives de 1936, Agence Meurice - source : Gallica-BnF

Lorsque s’ouvre la « célèbre » campagne électorale de 1936 qui verra triompher le Front Populaire, Paris-Soir se lance dans un grand reportage en région à la découverte des votants. Gravement touché par la crise économique et craignant la guerre, le pays semble plus divisé que jamais.

Le 2 avril 1936, au moment où s’ouvre la campagne électorale, le quotidien Paris-Soir annonce le lancement d’une « vaste enquête » intitulée « Le visage de la France qui vote ». Un long chapô en détaille les enjeux et les motivations, insistant avoir « veill[é] scrupuleusement à ce que la vision fut toujours objective et vivante, à ce que la prévision demeurât toujours prudente ».

Nous sommes ici dans le discours doxologique de la presse populaire d’information, qui brandit sans cesse la notion d’objectivité pour asseoir les propos tenus dans ses articles et le sérieux des renseignements qu’elle dispense. Cette notion d’objectivité n’est jamais fort loin de la thématique de la vérité, consubstantielle au journalisme, et c’est sans étonnement que nous relevons, dès le premier reportage de la série, le titre de celle-ci modifié, l’ajout de l’adjectif n’étant point un détail :

« Le vrai visage de la France qui vote. »

Quant à la « vision […] vivante », elle convoque derechef le genre journalistique phare de la période des années trente, le reportage, dont Paris-soir a d’ailleurs été l’un des fers de lance indéniables. Le chapô précise le nom des cinq reporters qui vont transporter le lecteur sur les routes de France ; noms auxquels nous ajoutons les villes qu’ils examineront : Dominique Canavaggio (Paris), « qui dirigera l’enquête », Claude Blanchard (Lille, Nancy, Strasbourg), Stéphane Manier, Jean Marèze (Lyon, Marseille, Toulon, Grenoble, Orange) et Fernand Pouey (Béziers, Toulouse, Bordeaux).

C’est Stéphane Manier que nous avons choisi pour nous entraîner, quelque quatre-vingts années après, sur les routes de cette France d’avril 1936 qui s’apprête à exercer son droit de vote – en tout cas, la France des hommes, puisque les femmes n’obtiendront ce droit, rappelons-le, qu’en 1944. Aujourd’hui oublié, Stéphane Manier se situe parmi les reporters importants de l’entre-deux-guerres. Il est attaché à Paris-Soir depuis le début des années vingt, et y traite de divers sujets, dont l’actualité sociale ou politique. Pour cette série, il va livrer cinq reportages, sillonnant la Brie, la Beauce et le Perche dans le premier de ses papiers ; la Bretagne (Brest, Roscoff, Guingamp, Lorient, Auray, Carnac, Dinan…) dans les suivants.

Son premier reportage paraît le 6 avril. Rompu à ce genre journalistique, Stéphane Manier sait d’emblée planter le décor. Un décor qui à la fois emporte le lecteur vers un ailleurs et suscite en lui des considérations sous-jacentes autres que paysagères :

« A une heure de Paris, vers l'est, la banlieue désordonnée...

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