Écho de presse

Le « suicide d'opérette » du général Boulanger

le 19/10/2019 par Marina Bellot
le 29/03/2018 par Marina Bellot - modifié le 19/10/2019
Une du Petit Journal illustré du 10 octobre 1891 montrant le général Boulanger se donnant la mort sur la tombe de sa maîtresse - source : RetroNews-BnF

Le 30 septembre 1891, le général Boulanger en exil en Belgique se donne la mort sur la tombe de sa maîtresse. Son suicide est férocement commenté par la presse.

11h30 au cimetière d’Ixelles, en Belgique. L’atmosphère est paisible quand soudain retentit un coup de feu : le général Boulanger vient de se suicider sur la tombe de sa maîtresse, Marguerite de Bonnemains. 

La nouvelle se répand aussitôt à Paris. Tous les journaux y consacrent leur une, les éditions spéciales se succèdent, les illustrateurs se saisissent de l'événement. 

Une du Petit Journal du 10 octobre 1891 - source : RetroNews-BnF.

Une du Petit Parisien du 11 octobre 1891 - source : RetroNews-BnF.

De Belgique parvient ce communiqué : 

« M. Boulanger est arrivé au cimetière d’Ixelles vers onze heures et demie, marchant lentement, la tête penchée ; il s’est dirigé vers la tombe de Mme de Bonnemains. Les gardiens ne prirent pas garde à ses mouvements, M. Boulanger ayant l’habitude de venir fleurir la tombe de celle qui fut sa compagne dévouée. 

Subitement, un gardien vit le général tirer un revolver de sa poche, appuyer le canon sur la tempe droite et faire feu. M. Boulanger était tombé raide mort : quand les gardiens accoururent, ils ne purent que relever le cadavre pour le transporter au petit hôtel de la rue Monloyer. » 

Ministre de la Guerre sous la présidence de Georges Clemenceau, le général Boulanger est à l’origine du mouvement populaire du boulangisme qui ébranla la IIIe République. Triomphalement élu député à Paris le 27 janvier 1889 sur le programme antiparlementariste « Dissolution, constituante, révision », Boulanger avait déçu ses soutiens en refusant de prendre l’Élysée, préférant au coup d’État la compagnie de sa maîtresse Marguerite [voir notre article]. ​

En février, alors que le bruit courait de son arrestation prochaine, il avait dû s’enfuir à Londres, puis à Bruxelles où il vécut avec sa bien-aimée. Jusqu'à ce qu'elle soit emportée par la phtisie, moins de deux ans plus tard. 

La presse de droite est assassine avec le frais suicidé.

« L'étonnante nouvelle excite la curiosité banale d'un fait divers : “Ah ! il, s'est tué ? Est-ce bien vrai ? Oui, sur la tombe de sa maîtresse. Drôle d'idée !”​ Voilà tous les propos que le boulevard a consacrés à la mémoire de son ancienne idole. [...]

Après un effondrement que, seul, il n'estimait pas définitif, il avait vu les associés de son entreprise, les courtisans et les complices de son aventure défiler devant lui, un à un ou par pelotons, pour lui tirer la révérence.

Il croyait encore, disait-on, à la fidélité ou du moins à la reconnaissance des camelots. Mais pas un œil de mitron ne s'est mouillé hier, à la lecture des journaux du soir. » 

Et le journal conservateur de commenter férocement sa popularité aussi fulgurante que brève : 

« Son âme d'officier débrouillard n'était pas trempée pour la grande aventure. Il s'était jeté dans la guerre politique, ainsi qu'un capitaine de turcos se rue sur un gourbi. La République repoussa son assaut avec des armes de précision. Il suffit de les montrer pour l'anéantir.

D'ailleurs, il s'engageait dans l'entreprise avec tous les vices des aventuriers du commun, s'attardait aux jouissances du luxe, se plaisant aux adulations féminines, grisé par le parfum des boudoirs, dominé par les femmes. C'est sur une tombe de femme qu'il est allé s'abattre.

Il avait vécu comme le prophète d'opéra, Jean de Leyde ; il a voulu mourir comme Roméo sur le cadavre de Juliette ou comme Hamlet sur la fosse d'Ophélie. » 

Le Gaulois n’est pas moins dur :  

« Le général Boulanger a commis, hier matin, sa dernière faute : il s'est suicidé. 

Un caprice des foules avait fait de cet homme un personnage célèbre, historique, et avait donné à ce soldat de fortune une situation qui eût fait envie à un sauveur de peuples. 

Des fautes publiques et privées lui avaient fait tout perdre, rang, honneurs, dignités, ressources, famille, patrie et gloire, si on peut donner ce nom à l'éclat factice dont brilla cette idole éphémère. » 

Quant à Clemenceau, qui lui fit faire ses premiers pas en politique en le nommant ministre de la Guerre, en 1886, on lui prête ces mots terribles : 

« Il est mort comme il a vécu : en sous-lieutenant. » 

Parmi ceux qui feront entendre une voix dissonante, Henri Rochefort, rédacteur en chef de L'Intransigeant, journal qui avait soutenu Boulanger, défend la mémoire du général et vilipende ses « accusateurs » et « ses juges » qui contribuèrent à sa chute :

« Si quelque chose pouvait combattre ma profonde douleur, c’est l’excès de colère où me jette le souvenir des ignominies déversées sur notre cher et digne ami par les êtres crapuleux qui ont fait de la France leur proie et leur victime. [...]

Cet homme aura sa légende et entrera dans l'histoire, malgré les ordures et les déjections que les entretenus de la presse fangeuse vont une dernière fois vomir sur lui. »  

Notre sélection de livres

Condamnation du général Boulanger
Victor Granville
Histoire du général Boulanger, le soldat citoyen
Michel Morphy
Le général Boulanger et le Parti républicain national
Charles Du Hemme
Le général Boulanger
John Labusquière