Écho de presse

Les grands jours de la république de Corse, indépendante et démocratique

le 17/10/2019 par Michèle Pedinielli
le 01/10/2019 par Michèle Pedinielli - modifié le 17/10/2019
« Vue de la Ville de Bastia, Capitale de l'Isle de Corse », dessin, J. Daubigni, 1779 - source : Gallica-BnF
« Vue de la Ville de Bastia, Capitale de l'Isle de Corse », dessin, J. Daubigni, 1779 - source : Gallica-BnF

En 1755, la France est encore loin de sa révolution lorsque la Corse vient de s’instaurer en république démocratique, dotée d’une constitution. Artisan de cette avancée extraordinaire : le général Pasquale Paoli.

« Le peuple corse est seul habilité à décider légitimement de ses destinées. »

En 1755, le premier principe de la toute nouvelle Constitution corse jette les bases du grand projet de Pasquale Paoli, jeune militaire de 30 ans qui vient d’être élu « général de la Nation » par la majorité des pievi (cantons) corses rebelles à la domination génoise qui s’exerce sur l’île depuis quelque 400 ans.

Fin tacticien, Paoli se révèle en précurseur quand il s’agit d’imaginer le destin de son pays. Avant les États-Unis et la France révolutionnaire, il rédige la toute première constitution démocratique pour la nouvelle République de Corse. Celle-ci fonctionne en vertu d’un Conseil national, système parlementaire dont les députés élus par le peuple sont à même de décider de l’avenir de l’île, notamment face aux menaces de Gênes, comme le note depuis Paris La Gazette, organe officiel du Royaume de France.

« On ajoute que Paoli a convoqué une assemblée générale de la Nation pour délibérer sur les mesures qu'il conviendra de prendre au cas que l'on envoye des troupes étrangères pour soumettre l’île à la République. »

L’Assemblée se réunit régulièrement pour tous types de décisions, notamment lorsque la France, alors puissance non hostile, demande une aide matérielle à la République.

« Suivant des lettres de Corse, le Comte de de Marbeuf a demandé à Paschal [sic] Paoli qu’il fût permis à quelques charpentiers François de couper du bois de construction dans les forêts de l’île.

En conséquence, Paoli a fait tenir un Conseil National dont le résultat a été d’accorder cette demande à condition que ce bois seroit employé pour la Marine de France & non pour celle de la République de Gênes. »

Particularité étonnante de ce système de députation : quoique censitaire, il est démocratique, ses représentants étant élus (et non nommés) par des « chefs de famille » (y compris des femmes ou des étrangers établis en Corse). Paoli souhaite une Corse réorganisée dans tous les domaines, comme l’indique un siècle plus tard Le Petit Parisien.

« Son premier soin fut de donner à sa patrie une organisation forte et puissante, qui lui permit de faire face aux orages qui se préparaient de toutes parts ; il pourvut à tout : l'armée, les finances, l'instruction publique, le commerce, l'agriculture, sous sa haute direction, prospérèrent en Corse.

C'est l'époque la plus glorieuse de l'histoire de ce pays. »

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L’une de ses premières précautions est de faire appliquer des mesures de justice réglementées d’un bout à l’autre de l’île, instaurant ainsi un État de droit après plus de quatre siècles d’abandon – et souvent, de corruption – de la part de l’administration génoise, dans un contexte où, par exemple, les vendettas sont encore chose courante dans l’île.

« Pascal Paoli, voulant connoître la situation de sa patrie, trouva le plus grand désordre partout : le trésor et les arsenaux publics étoient épuisés ; il n’y avoit ni discipline, ni subordination dans l’armée, et, ce qui étoit plus malheureux encore, il régnoit peu d’union parmi les citoyens.

Cependant Paoli réussit à repousser les Génois jusqu’aux extrémités de l’isle, où ils ne conservèrent plus que quatre places ; il fit cesser de nombreux abus ; introduisit l’ordre et la justice dans toutes les parties de l’administration ; punit très sévèrement les crimes et les assassinats qui enlevaient chaque année huit cent individus à la Corse ; civilisa et éclaira le peuple, en régularisant l’instruction publique. »

Pasquale (de) Paoli, portrait par William Beechey, circa 1810 - source : WikiCommons
Pasquale (de) Paoli, portrait par William Beechey, circa 1810 - source : WikiCommons

La « justice de Paoli » s’accompagne en outre d’une éducation publique gratuite et de l’ouverture d’une université à Corte (capitale de la République), structures libérées de toute influence religieuse. Les Jésuites, par exemple, sont instamment priés de ne pas se mêler d’éducation sur l’île.

« On mande aussi de Corse que les Jésuites ayant voulu établir, dans les différentes parties de cette isle où ils ont été reçus, des Écoles publiques pour l'instruction de la jeunesse, le Général Paoli, à qui les Professeurs de la nouvelle Université de Corse ont fait de représentions à cet égard, a défendu à ces Religieux toute entreprise de ce genre, leur enjoignant en même temps de ne se mêler d'aucune affaire qui puisse concerner la Régence en quelque manière que ce soit. »

Pendant 14 ans, Pasquale Paoli s’emploie ainsi à poser les bases d’une nation s’inscrivant dans la continuité de ce que l’on ne nomme pas encore « l’esprit des Lumières », avec un peuple souverain composé de citoyens « instruits et émancipés ». Cette république indépendante s’achève en 1769, lorsque l’armée corse perd la bataille de Ponte Novu face aux forces du roi de France Louis XV. Paoli est alors contraint de s’exiler en Angleterre.

Parmi les intellectuels d’alors, l’aura de Paoli est immense. Dès 1764, Rousseau s’enthousiasme tandis qu’il est sollicité par un émissaire du général corse afin de poursuivre le projet de constitution.

Quelques années plus tard, dans son Précis du siècle de Louis XV, Voltaire consacre un chapitre à l’histoire de la Corse et écrit à propos de Paoli qu'il « était plus législateur encore que guerrier, que son courage était dans l'esprit ». « Toute l’Europe est Corse », s’exclame-t-il alors.

En 1789, les révolutionnaires français le saluent à leur tour comme un ardent défenseur de la liberté. Et Paoli est invité à revenir de son exil de Londres.

« Les Corses, les braves Corses, qui combattirent pour la liberté pendant tant de siècles, viennent enfin de l’acquérir. Ils ont repris les armes ; ils ont vaincu la tyrannie, & ont fait hommage de leur victoire à l’assemblée nationale des Français. […]

François ! Nous verrons Paoli ; nous verrons ce grand homme qui n’a pas désespéré du salut de sa patrie, puisqu’il vit encore. Nous lui élèverons une statue […] »

Le jeune capitaine Bonaparte écrit à son père, en 1792 : « Tiens-toi fort avec le général Paoli. Il peut tout et est tout. Il sera tout dans l’avenir que personne au monde ne peut prévoir. »

Mais en 1793, Paoli s’émeut devant les réformes autoritaires de la Terreur et se tourne à nouveau vers l’Angleterre, en vue de séparer une nouvelle fois l’Île de Beauté de la France. Il est immédiatement décrété hors-la-loi par la Convention.

« La convention sévit ensuite contre des conspirateurs plus redoutables, et par leurs moyens, et par l’importance des pays où ils ont arboré l'étendard de la révolte. Voici le décret qu’elle a rendu sur le rapport du comité de salut public.

Art. 1er. Pascal Paoli, déclaré traître à la patrie, est mis hors de la loi. »

L’éphémère royaume anglo-corse (1794-1796) écartera le général du pouvoir, tandis que Pasquale Paoli reprendra le chemin de l’exil. Celui-ci sera définitif, et le général corse mourra à Londres en 1807.

Pour en savoir plus :

Daniel Arnaud, La Corse et l'idée républicaine, Paris, L'Harmattan, 2006

Michel Vergé-Franceschi, Paoli, un Corse des Lumières, Fayard, Paris, 2005