Grands articles

« Une basse vengeance » : le cri de Clemenceau contre la guillotine

le par

Georges Clemenceau âgé, Président du Conseil des Ministres, Ministre de la Guerre français, 1919 - source : Gallica-BnF

En 1894, Georges Clemenceau réaffirme ses convictions contre la peine de mort dans un long et célèbre article publié dans son journal, La Justice, relatant dans les moindres détails les préparatifs d'une exécution de la peine capitale.

 

23 mai 1894. La Justice titre sobrement « La Guillotine ». Le lundi 21 mai 1894, devant la prison de la Roquette, Georges Clemenceau, fondateur et responsable politique du quotidien, a assisté à l'exécution de l'anarchiste Émile Henry, condamné à mort pour deux attentats commis en plein Paris. Il en donne un compte-rendu détaillé, réaliste et passionné, concluant qu'une « République si glorieuse de ses aspirations humanitaires » se doit d’abolir la peine de mort.

Quelqu'un me dit : « Il faut que vous voyiez ça, pour en pouvoir parler à ceux qui trouvent que c'est bien ». J'hésitais, cherchant des prétextes, puis, brusquement, je me décide. Partons.

Nous traversons le Paris d'après minuit, avec ses groupes de filles blafardes sous le gaz, ses flâneurs attardés en quête d'aventure. Déjà nerveux, je cherche un air étrange dans les choses. Rien. Un ciel ardoisé, moutonnant, d'une transparence blême. Un vent sec et dur qui nous glace.

Nous voici place du Château-d'Eau, devant la grande République au bonnet phrygien. Elle présente sa branche d'olivier apportant, dit-elle, la paix parmi les hommes. Et le couperet ? Pourquoi ne tient-elle pas le couperet de l'autre main ? Au fond de moi, je lui crie : « Menteuse ! ». Maintenant, c'est Ledru-Rollin, théâtralement campé devant la mairie du Faubourg. D'un geste emphatique, il montre l'urne du suffrage populaire, disant : « Le salut est là ». « Sans doute, ami, mais l'attente est longue pour une courte vie. Tu en as fait toi-même, pendant vingt ans, la cruelle expérience. »

Toutes les rues aboutissant à la place de la Roquette sont barrées. La place est occupée militairement. Il y a là mille hommes. C'est beaucoup pour en tuer un seul. Des barrières maintiennent le public au débouché de la rue de la Roquette. Il est impossible qu'il voie quoi que ce soit du spectacle de tout à l'heure. M. Joseph Reinach se moque de nous. La place n'est plus qu'une grande cour de prison.

Devant la porte de la Roquette, de nouvelles barrières pour les personnes munies de carte. Il y a bien là une soixantaine de journalistes dont une femme, une vieille dame grise qui fait l'objet de la curiosité générale, sans en éprouver la moindre gêne. Elle cause gaiement avec ses voisins, ou même avec les officiers de paix qui la plaisantent. Des sergents de ville passent, la cigarette ou la pipe à la bouche. Tout le monde fume. On cause à mi-voix. L'attitude est plutôt recueillie.

De la foule lointaine qui se compose de quelques centaines de personnes tout au plus, aucun bruit ne vient. Les deux Roquettes, mornes, se regardent. Leurs ouvertures noires n'ont rien à se dire. Dans le fond, une haute maison qui surplombe éclaire jo...

Cet article est réservé aux abonnés.
Accédez à l'intégralité de l'offre éditoriale et aux outils de recherche avancée.